RDC : « Les élections n’auront pas lieu le 20 décembre »
- Dans République démocratique du Congo
- 10 décembre 2023
- Hubert Leclercq
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Pour le politologue Bob Kabamba, l’annonce du report devrait arriver cette semaine.
Dans la nuit du 8 au 9 décembre, la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) a annoncé l’arrivée à Kinshasa, depuis la Chine, des derniers containers de “documents sensibles” pour l’organisation du scrutin. Parmi ces documents, les PV qui doivent recueillir les résultats des votes, bureau par bureau lors du scrutin du 20 décembre. Au total, selon les chiffres de la Ceni, sur l’étendue de la République démocratique du Congo, ce sont 75 478 bureaux de vote qui attendent ces documents.
”À dix jours du scrutin, c’est impossible”, tranche, explicite, Bob Kabamba, politologue, professeur à l’université de Liège, rentré cette semaine d’un déplacement en RDC, notamment dans l’est du pays, toujours secoué par une guerre entre rebelles du M23, qui seraient soutenus par le Rwanda, et l’armée congolaise, “renforcée” par des mercenaires occidentaux, des wazalendos, des volontaires parmi lesquels de nombreux membres de milices criminelles congolaises, mais aussi, depuis peu, de militaires burundais envoyés dans le cadre d’un accord entre les présidents Tshisekedi et Ndayishimiye.
”Un patchwork impossible à gérer”, explique un spécialiste des questions militaires, régulièrement de passage à Goma, qui souligne l’impact que ce conflit sur les élections du 20 décembre. “Si les élections devaient avoir lieu, il est impossible de les organiser dans une grande partie des provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri. Certains n’ont déjà pas pu voter à la présidentielle de 2018. Comment voulez-vous que ces gens, plongés dans l’horreur depuis des années, se reconnaissent encore dans le pouvoir de Kinshasa, une ville située à plus de 1 500 kilomètres, qui ne parle pas la même langue et dont on ne perçoit ici que les flonflons des fêtes organisées par le pouvoir. L’accueil réservé aux candidats proches de la présidence de la République est significatif de ce sentiment de rejet de Kinshasa.”
Tshisekedi dans le dur face à Katumbi
La campagne électorale, entamée il y a vingt jours, a permis de se rendre compte des difficultés du pouvoir sortant. Dans le duel qui l’oppose à distance à son principal challenger Moïse Katumbi, le chef de l’État a pris conscience de la popularité de l’ancien gouverneur du Grand Katanga qui draine des dizaines de milliers de supporters à chacune de ses haltes quand lui, malgré les moyens de l’État, peine à mobiliser. Félix Tshisekedi, sans légitimité, sans bilan, mène ses meetings comme un outsider, tentant de mobiliser à coups de promesses après un premier quinquennat stérile. “Son seul argument fédérateur, c’est la guerre à l’est et la volonté d’en découdre avec le Rwanda, mais cela fait maintenant des mois qu’il fait ses promesses et que, sur le terrain, on ne fait que constater des défaites face au M23”, explique un membre de la société civile de l’Ituri qui insiste : “On meurt beaucoup ici. Les défaites militaires sont nombreuses. Des bataillons entiers de jeunes gens, mal équipés, mal commandés, ont été massacrés ces dernières semaines sans que le pouvoir de Kinshasa s’en soucie.”
Personne n’a oublié, à l’est, les promesses faites par Tshisekedi d’installer le QG de l’armée à Goma et de venir lui-même s’installer dans la région pour faire face à l’offensive du M23. “Comment voulez-vous que l’on croit encore cet homme, qui n’a tenu aucune de ses promesses, quand il revient pour nous demander nos voix”, poursuit un membre d’un mouvement citoyen installé dans la périphérie de Goma.
Goma, le chef-lieu du Nord-Kivu, une ville dont revient Bob Kabamba. “La tension y est énorme. Le M23 a repris son offensive suite au rôle joué par les FDLR dans les rangs de l’armée congolaise. Leur progression est systématique, ils sont aux portes de Goma. La ville aurait pu tomber bien avant mais le M23 ne voulait pas être utilisé pour justifier le report des élections par Tshisekedi”.
150 millions de bulletins
”À moins de dix jours du scrutin, avec ou sans M23, il est impossible de tenir le calendrier. Rien qu’en termes de bulletins de vote, c’est impossible. Pour les différents scrutins qui doivent se tenir, il faut au moins 150 millions de bulletins de vote à acheminer dans un pays qui fait plus de 80 fois la Belgique, sans infrastructure et, aujourd’hui, sans l’aide des Nations Unies, le tout en pleine saison des pluies”, explique encore Bob Kabamba. Plusieurs témoignages de candidats aux législatives recueillis dans tout le pays font état de routes inondées, de villes ou villages coupés du monde, de temps de trajet exceptionnellement long. “J’ai mis quinze heures pour faire 70 kilomètres à moto tant les routes sont inondées”, explique un candidat député du Kwilu. Dans le Nord-Kivu des notables ont été empêchés d’atteindre leur village, “même le ministre Vital Kamerhe et Denise Tshisekedi, la première dame, n’ont pu rentrer dans leur village à cause des routes inondées. Denis Kadima, le patron de la Ceni, demande de nouveaux moyens de transport, c’est une manière de se dédouaner. Il a compris depuis un certain temps qu’il ne pourra tenir le calendrier mais tout le monde jusqu’ici a continué à faire semblant, espérant qu’un prétexte surgirait pour justifier ce report”, poursuit Bob Kabamba.