Le bilan économique de Félix Tshisekedi à la tête de la RDC

Surendettement modéré, confiance renouvelée du FMI, croissance prometteuse mais des secteurs essentiels qui tardent à décoller… À la veille de l’élection présidentielle en RDC, « Jeune Afrique » dresse un panorama du bilan économique du président sortant.

Le chef de l’État congolais Félix Tshisekedi (ici à Kinshasa, le 28 juillet 2023) remettra en jeu son mandat à la présidentielle du 20 décembre. © Alexis Huguet/ AFP
Le chef de l’État congolais Félix Tshisekedi (ici à Kinshasa, le 28 juillet 2023) remettra en jeu son mandat à la présidentielle du 20 décembre. © Alexis Huguet/ AFP

Publié le 19 décembre 2023Lecture : 7 minutes.

En décembre 2018, Félix Tshisekedi est élu président de la RDC, succédant ainsi à Joseph Kabila lors d’une élection controversée, qui marque cependant la première transition démocratique depuis l’indépendance du pays, en 1960. L’arrivée au pouvoir du fils de l’ancien Premier ministre Étienne Tshisekedi et figure de l’Union pour la démocratie et le progrès social, a représenté un tournant majeur dans la politique congolaise.

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Dans un contexte d’aspirations populaires intenses, le natif de Kinshasa a endossé la responsabilité de répondre à une multitude de défis socio-économiques urgents. Parmi ses engagements, il a promis de combattre la corruption endémique, de stimuler l’emploi, d’améliorer les infrastructures et de s’attaquer à l’insécurité persistante dans l’Est du pays. Des engagements qui ont suscité un mélange d’espoir et de scepticisme parmi les Congolais.

« Mauvaise direction »

Une récente enquête menée conjointement par le Groupe d’étude sur le Congo, Ebuteli et le Bureau d’études, de recherche et de consulting international (Berci) révèle une perspective nuancée de l’opinion publique en RDC. Selon ce rapport, 57,16% des Congolais sondés estiment que le pays évolue dans « la mauvaise direction ». Cependant, une analyse plus détaillée par province démontre des disparités significatives.

La RDC va-t-elle dans la bonne direction © Source : Sondage Groupe d’étude sur le Congo et Ebuteli, son partenaire de recherche en RDC, avec le Bureau d’études, de recherche et de consulting international.
La RDC va-t-elle dans la bonne direction © Source : Sondage Groupe d’étude sur le Congo et Ebuteli, son partenaire de recherche en RDC, avec le Bureau d’études, de recherche et de consulting international.

Ces résultats soulignent l’hétérogénéité des perceptions régionales et la subjectivité perçue sur la trajectoire actuelle du pays. Mais, concrètement, alors que le président sortant se prépare à briguer un prochain mandat, quelles sont ses victoires et ses échecs sur le plan économique ?

Risque de surendettement modéré

Depuis l’entrée en fonction de Félix Tshisekedi, de nombreux programmes ont été mis en place, parmi lesquels le programme d’urgence pour les 100 premiers jours du chef de l’État, le projet routier Tshilejelu et le programme de développement local des 145 territoires.

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Ce grand nombre de projets engagés a entraîné une multiplication par deux de la dette publique du pays, grimpant de 5,6 à 10 milliards de dollars. Malgré cela, le risque de surendettement reste modéré, avec des taux de croissance économique robustes, 6,7% en 2023 et projetés à 7,2% en 2024, selon la Banque africaine de développement. Cette résilience est largement attribuée au secteur extractif, avec une croissance de 20,8% – malgré les fluctuations des prix du cobalt –, et une croissance de 3,2% dans le secteur non extractif, tirée par le secteur des services.

Une situation qui a permis à S&P Global Ratings de maintenir la note de crédit en devises étrangères à long terme de la RDC à « B-« , avec « perspective stable », et au Fonds monétaire international (FMI) de décaisser plusieurs enveloppes dans le cadre de la facilité élargie de crédit. Le dernier en date s’élève à 202,1 millions de dollars.

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Cependant, d’après le FMI, le déficit budgétaire s’est élargi, passant de 0,9% du PIB en 2021 à 2,6% en 2022, et à 2,9% en 2023. Selon le Fonds, ces déficits sont imputables à la détérioration des termes de l’échange, aux recettes inférieures aux prévisions et à un ajustement insuffisant des dépenses, qui ont été réorientées vers la sécurité et les élections au détriment du règlement des arriérés.

En parallèle, la Banque centrale du Congo (BCC) a fait face à un ralentissement de l’accumulation de réserves de change, principalement causé par une réduction des recettes minières libellées en dollars. Confrontée à une inflation élevée, atteignant 20%, et aux pressions sur la dépréciation du franc congolais, la BCC a dû augmenter son taux directeur en août dernier, le faisant passer de 11 à 25%.

Les mines, entre ordre et désordre

La RDC se distingue par ses réserves minières parmi les plus riches au monde, constituant une source majeure de revenus pour le pays (43% du budget national, 47% du PIB, 95% des exportations et 25% des emplois). Néanmoins, et selon les mots de l’ancien ministre des Mines, Willy Kitobo Samsoni, une gestion insuffisante des réformes et un « bradage » des ressources freinent le potentiel économique du pays.

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La Gécamines, société minière d’État de premier plan, qui s’est retrouvée au cœur de plusieurs controverses ces dernières années, en est le parfait exemple. Selon un rapport de l’Inspection générale des finances (IGF), entre 2010 et 2020, la société publique a vendu à bas prix les minerais congolais. Précisément, les groupes privés exploitant les ressources du pays n’ont versé que 564 millions de dollars à Kinshasa, un montant dérisoire comparé aux 35 milliards de dollars de chiffre d’affaires qu’ils ont généré. Le scandale le plus récent implique une enquête menée par l’IGF, dans laquelle une trentaine de responsables et de consultants de la Gécamines sont accusés de détournements de fonds.

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Afin de contrer le trafic de minerais par les groupes armés du M23, le bureau du président Félix Tshisekedi a annoncé, en juillet dernier, un partenariat de 1,9 milliard de dollars entre les Émirats arabes unis et la Société aurifère du Kivu et du Maniema (Sakima) pour établir plus de quatre mines industrielles au Sud-Kivu et au Maniema, ciblant l’étain, le tantale, le tungstène et l’or. Cependant, ce contrat a fait l’objet de nombreuses polémiques, comme en atteste un rapport de l’ONU qui a soulevé des inquiétudes quant à la légalité de ces mines artisanales et à la traçabilité des minerais.

Selon cette même volonté, le gouvernement congolais a pris diverses mesures. En septembre 2023, il a suspendu les droits d’exploitation de 29 compagnies minières pour « non-conformité aux normes environnementales et sociales ». Cette mesure, qui a eu un impact immédiat sur l’économie locale et l’emploi, a pour autant été jugée insuffisante par de nombreux experts.

Pétrole et gaz : un pari raté

« Après avoir misé sur le tout-minier, il est temps pour nous d’exploiter le secteur des hydrocarbures », annonçait, en grande pompe, Félix Tshisekedi, devant un impressionnant parterre de responsables et de représentants du secteur pétrolier. Alors que le lancement, en juillet 2022, des appels d’offres de 30 blocs, 3 gaziers et 27 pétroliers par le chef de l’État constitue une avancée notable par rapport aux précédents gouvernements, le processus et les premiers résultats sont décevants selon les observateurs internationaux.

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Pour l’exploitation des trois blocs de gaz méthane dans le lac Kivu, sur 13 candidats, Kinshasa a sélectionné trois sociétés. Symbion Power & Red (bloc Makelele) et Winds Exploration and Production LLC (bloc Idjwi), toutes deux américaines, ainsi que la canadienne Alfajiri Energy Corporation (bloc Lwandjofu). La présence de ces entreprises peu ou pas connues dans les appels d’offres soulèvent des interrogations.

Une enquête de Reuters et du Bureau of Investigative Journalism, une ONG britannique, a révélé qu’Alfajiri Energy, une start-up créée peu avant le lancement des appels d’offres, ne répond pas aux critères financiers requis par la nouvelle réglementation pétrolière et gazière en RDC.

Prévu pour janvier 2023, puis décalé en avril, avant d’être reporté en octobre, le verdict des appels d’offres des 27 blocs pétroliers devrait finalement être rendu au premier semestre 2024. Si le ministre des Hydrocarbures, Didier Budimbu – par ailleurs accusé d’avoir conclu des accords secrets dans le cadre du processus des appels d’offres – évoque un intérêt de TotalEnergies, ExxonMobil et Eni, aucune major n’a, à ce jour, soumis d’offres pour les blocs mis aux enchères.

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Déterminé à faire des hydrocarbures une locomotive économique pour « sortir du tout-minier », Félix Tshisekedi semble avoir raté son pari. Mais son ambition de porter à 40 % la part du secteur pétrolier dans les recettes de l’État pour faire carburer l’économie aux énergies fossiles et se défaire de la dépendance aux mines, qui représentent aujourd’hui 95 % de ses exportations de la RDC, peine à se concrétiser. Et le potentiel du sous-sol congolais – capable de produire 22 milliards de barils de pétrole et 66 milliards de mètres cubes de gaz naturel par an, d’après Kinshasa – reste, à ce stade, illusoire en l’absence de découvertes majeures de gisements pétroliers et gaziers dans ce pays extrêmement vaste.

L’aérien patine

Sur la question aérienne, le constat est lui aussi sans appel. Le 5 décembre dernier, dans un courrier adressé au président dont Jeune Afrique a consulté une copie, Denis Kadima, le patron de la Commission électorale nationale indépendante, s’alarmait des difficultés d’acheminement du matériel et des équipements électoraux sur le territoire en raison du « déficit en dessertes aériennes », couplé à une pénurie de carburant.

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Air Congo, la nouvelle compagnie aérienne domestique appuyée par Ethiopian Airlines, annoncée en grande pompe en octobre 2021 par le ministre congolais des Transports, Chérubin Okende (assassiné en juillet 2023), n’a jamais vu le jour. Quant à Congo Airways, plombé par 100 millions de dollars de passif, ses avions ont été cloués au sol pour deux mois en septembre 2023, avant que deux appareils de location ne permettent de relancer les principales liaisons (entre Kinshasa et Lubumbashi, Goma, Kisangani, Kananga, Kindu, Mbandaka, Gemena et Mbuji-Mayi) à quelques semaines des élections. Une solution à très court terme : les deux Boeing 737-800 n’ont loués auprès de la compagnie affréteuse lituanienne KlasJet que pour deux mois. Le problème se posera donc avec plus d’acuité que jamais sitôt que la parenthèse électorale sera refermée.

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