Présidentielle en RDC : le saut dans l’inconnu
Ce mercredi 20 décembre, la RDC doit élire son président ainsi que ses députés et ses conseillers communaux. Au total, près de 44 millions d’électeurs sont attendus aux urnes dans un contexte tendu. Malgré des craintes récurrentes en matière de logistique électorale, la Ceni assure être prête.


Publié le 19 décembre 2023 Lecture : 6 minutes.
Après des mois d’attente, de spéculations et d’incertitudes, la RDC organise bel et bien, ce 20 décembre, ses élections. Près de 44 millions d’électeurs sont attendus dans les bureaux de vote ce mercredi, entre 6 heures et 17 heures, pour un quadruple scrutin : une présidentielle, des législatives nationales et provinciales et des élections de conseillers communaux.
Couper court aux rumeurs de glissement
Jusqu’à la dernière minute, les inquiétudes entourant ce processus électoral auront persisté. Pendant des semaines, diplomates, observateurs et politiques ont d’ailleurs refusé de se montrer catégoriques quant au maintien de la date du 20 décembre. Les multiples assurances de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), accusée de ne pas suffisamment communiquer sur l’avancée de ses opérations, n’ont jamais totalement permis de lever les doutes. Le 18 décembre, alors que s’achevait la campagne, c’est finalement par la voix de Patricia Nseya Mulela, rapporteuse de la Ceni, que l’organe a définitivement coupé court aux rumeurs de glissement du calendrier électoral : « Allez donc [le] dire à ceux qui doutent encore : il y aura bel et bien les élections le 20 décembre, toutes les dispositions sont prises. »A lire :
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La séquence qui s’ouvre ce 20 décembre doit permettre de tourner la page des élections de 2018, dont les résultats ont été sujets à controverse durant cinq ans. Et les chiffres du scrutin ont de quoi donner le vertige : plus de 100 000 candidats se présentent, toutes élections confondues, et leur sort sera tranché dans plus de 75 000 bureaux de vote répartis sur la quasi-totalité du pays – trois territoires, dans le Nord-Kivu et le Maï-Ndombe, ne pourront pas voter pour des raisons sécuritaires.
Délicate course contre la montre
La gestion du casse-tête logistique que représente un tel scrutin a été le sujet récurrent de ces derniers mois. Entre une Ceni et un pouvoir constamment affirmatifs sur le maintien de la date du 20 décembre, une opposition critique et une communauté diplomatique parfois dubitative, il a souvent été difficile d’y voir clair.
L’impression que la Ceni était engagée dans une délicate course contre la montre s’est encore renforcée ces deux dernières semaines alors qu’une partie du matériel électoral, arrivé tardivement sur le territoire congolais, peinait à être déployé. La lettre adressée au président Félix Tshisekedi, le 5 décembre, par le patron de la Ceni, Denis Kadima, afin de solliciter un soutien aérien a confirmé ces inquiétudes.A lire :
La Monusco à la rescousse de la présidentielle en RDC ?
Un certain flou s’est par la suite installé. Un temps évoquée par l’Agence congolaise de presse, l’idée d’un appui des autorités angolaises ne s’est pas concrétisée. Le gouvernement congolais s’est tourné le 12 décembre vers le Conseil de sécurité de l’ONU, afin que celui-ci autorise la Monusco (la mission des Nations unies pour la stabilisation du pays) à fournir une assistance logistique à la RDC au-delà des trois provinces où elle opère encore, à savoir l’Ituri, le Nord-Kivu et le Sud-Kivu. Demande à laquelle les Nations unies ont répondu par l’affirmative.
L’Égypte et le Congo-Brazzaville à la rescousse
Toutefois, dans la matinée du 19 décembre, la mission onusienne n’avait encore reçu aucune information sur le détail du matériel à distribuer ni sur les lieux précis où son soutien pouvait être utile. Ce qui, en fonction des provinces visées, peut poser des problèmes d’approvisionnement en carburant.
Le 17 décembre, à trois jours du vote, les autorités congolaises ont pour leur part communiqué sur l’aide proposée par l’armée égyptienne, qui a affrété deux avions militaires. La Ceni a quant à elle annoncé dès le lendemain le prêt de deux hélicoptères par le Congo-Brazzaville.
Ces renforts de dernière minute suffiront-ils à garantir l’ouverture des 75 478 bureaux de vote ce 20 décembre ? Ces derniers jours, plusieurs sources en charge du suivi du processus électoral anticipaient un léger décalage des opérations dans 5 000 à 10 000 bureaux de vote. Du côté des autorités, certaines sources n’excluaient pas non plus, dans les endroits les plus reculés, que les élections se tiennent avec quelques jours de retard. S’exprimant au nom de la commission électorale, Patricia Nseya Mulela s’est malgré tout voulue rassurante le 18 décembre : « Jusqu’au jour du vote, on ne peut pas avoir terminé 100 % du déploiement [du matériel] parce que c’est ce jour-là que l’on finalise [les opérations]. »
Période volatile
Autre problème, celui des cartes d’électeurs défectueuses. Là encore, la commission – qui reconnaît qu’il s’agit d’une question tout à fait sérieuse – s’est voulue rassurante : elle a affirmé que même en cas de cartes illisibles et d’absence de duplicata, elle allait permettre aux électeurs dont les noms et photos se trouvent aussi sur les listes de chaque bureau de voter. « Le seul problème c’est que cela donne un pouvoir écrasant au président du bureau de vote, qui peut décider si telle ou telle personne ressemble bien à la photo qui se trouve sur sa liste », s’inquiète un expert électoral.A lire :
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De l’avis d’un vétéran des missions d’observation, « ce scrutin est peut-être le plus incertain sur le plan logistique de tous les processus électoraux ». « C’est un secret de Polichinelle. Un report aurait permis de l’organiser dans de meilleures conditions, mais personne, à la Ceni ou au pouvoir, ne pouvait assumer le coût politique d’un ajournement de dernière minute », estime une source diplomatique à Kinshasa.
Dans ce contexte, l’acceptation des résultats par les candidats sera l’une des clés de l’après-vote. L’opposition s’est jusque-là montrée catégorique sur l’importance de l’affichage des résultats bureau de vote par bureau de vote. Plusieurs chancelleries, qui suivent étroitement ce processus, y voient notamment une condition essentielle pour apaiser les esprits dans la période, toujours volatile, d’attente des résultats.
La montée des tensions observée sur le scène politique au cours du dernier virage de la campagne électorale a déjà suscité certaines inquiétudes. Après un mois de meetings et de rebondissements, la RDC est entrée, depuis le 18 décembre à minuit, dans une période de « silence électoral ».
L’observation électorale sous pression
Le verdict des nombreuses missions d’observation déployées à travers le pays ce 20 décembre sera très attendu. Après l’annulation de celle l’Union européenne (UE), dont une partie du matériel avait été bloqué par les services de sécurité congolais, celle de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) s’est vu refuser l’accès au pays. Ce refus s’inscrit dans un contexte de tension entre Kinshasa et l’EAC, que la RDC a rejoint en 2022. Une crispation qui s’est exacerbée à la suite de l’annonce, depuis le Kenya, de la formation d’une alliance politico-militaire entre l’ancien président de la Ceni, Corneille Nangaa, et les rebelles du M23, accusés d’être soutenu par le Rwanda.
Plusieurs missions citoyennes, dont Regard citoyen (co-financée par l’UE), et celle conduite conjointement par la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) et l’Église du Christ au Congo (ECC) déploieront néanmoins plusieurs milliers d’observateurs. Ce sont elles qui offriront le maillage territorial le plus large même si d’autres délégations internationales, issues du Carter Center, de l’Union africaine ou encore de la Communauté économiques des États d’Afrique centrale (CEEAC), seront également déployées.A lire :
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À la veille du scrutin, le vice-Premier ministre chargé de l’Intérieur, Peter Kazadi, a toutefois affirmé que les autorités « n’accepteront pas que quelqu’un vienne manipuler les élections pour changer la volonté du peuple congolais qui va s’exprimer dans les urnes ». Au cours d’une conférence de presse, il a aussi accusé une mission d’observation électorale, qu’il n’a pas explicitement nommée, de vouloir « se substituer à la Ceni », l’accusant, d’avoir embauché un grand nombre de personnes et de disposer de téléphones satellitaires – un matériel classique en pareille situation.
Dans ce contexte, les heures et les jours qui suivront le vote feront l’objet de la plus grande attention de la part de l’ensemble des observateurs. « Le timing de publication des résultats sera important, souligne un expert électoral. Il ne faut pas qu’il empiète sur la période des recours devant la Cour constitutionnel pour permettre à ceux qui le souhaitent de contester les résultats par voie légale. »