Rapprochement du SG de l’ONU  avec Patrice Lumumba ?

A l’approche de la 15e session de l’Assemblée Générale, la fonction de Hammarskjöld était en péril à cause de la question congolaise. L’échec de l’ONU au Congo devrait entraîner une sanction pour son SG. Or pour que l’ONU continue d’opérer au Congo, il fallait prouver aux États afro-asiatiques sa neutralité.

 À partir d’octobre 1960, Hammarskjöld se distancie de ses premières positions pro-occidentales ayant supporté les coups d’État de Joseph Kasavubu (coup d’État constitutionnel du 5 septembre 1960) et Joseph Mobutu (coup d’État militaire du 14 septembre 1960).

C’est durant cette session qu’est publié le second rapport de Dayal [ le représentant de l’ONU au Congo et ami du Premier ministre Nerhu], rapport qui semble remettre en question certaines positions de Hammarskjöld qui étaient très critiquées par les pays afro-asiatiques. Ceci est interprété par les Américains comme une stratégie de rapprochement  avec Patrice Lumumba.

En effet, dans son deuxième rapport, daté du 2 novembre 1960, décrit l’existence des dilemmes auquel l’ONU devait faire face pour répondre à sa mission : soutenir le gouvernement central sans intervenir dans les affaires intérieures du pays ; choisir entre le projet d’une Table ronde ou celui de la réouverture du Parlement ; empêcher l’arrestation de Lumumba et garder le statut de neutralité.

Quel gouvernement soutenir pour répondre aux directives de l’assemblée générale aux termes de sa résolution A/RES.1474/Rev.l (ES-IV), par laquelle l’assemblée a invité à continuer de mener une action vigoureuse, conformément aux résolutions du Conseil de sécurité, pour aider le gouvernement central du Congo à établir et maintenir l’ordre public dans tout le territoire de la République du Congo ?

En fait, l’ONUC avait en face d’elle trois gouvernements concurrents. Il s’agissait : du gouvernement Lumumba, toujours révoqué par le Président mais dont la légalité venait du fait que le parlement lui avait renouvelé la confiance ; du Gouvernement Iléo, nommé par le Président, mais qui ne s’était jamais présenté au parlement ; et du Conseil des commissaires généraux, installé par le colonel Mobutu et nommé par le Président le 20 septembre 1960, mais sans abrogation de l’ordonnance nommant Iléo.

Pour Hammarskjöld, en ce moment, seul le gouvernement de Patrice Lumumba demeurait le gouvernement légal et que seul le Parlement pourrait approuver son remplacement par un nouveau gouvernement dirigé par un autre Premier ministre. Pour Hammarskjöld, comme le parlement avait réapprouvé Lumumba en tant que Premier ministre, le retour de celui-ci devait être un objectif pour l’ONU ; mais cela n’était pas acceptable par le Département d’État.

Pour les Américains, en ne permettant pas l’arrestation de Lumumba et en lui permettant de rester dans la résidence du Premier ministre, l’ONU soutenait désormais Patrice Lumumba contre les intérêts des puissances occidentales parce qu’elle ne favorisait pas les mesures qui auraient entraîné la diminution de son  prestige  aux yeux des Congolais. Les Américains avaient besoin d’une certaine réduction de l’influence de Lumumba et d’un renforcement d’Iléo ou de Bomboko pour préparer le terrain pour un nouveau gouvernement qui serait approuvé par les Congolais.

Voici à ce propos ce qu’a écrit Devlin dans ses mémoires, de la tentative d’arrestation Lumumba :

 « Après le coup d’État, les États-Unis craignent toujours que Lumumba ne trouve un moyen de revenir au pouvoir. Lumumba est plus capable en politique que Kasa-Vubu. Si le parlement était convoqué, Lumumba pourrait […] obtenir la majorité […]. Tim [Timberlake, l’ambassadeur] et moi [Devlin] avons ainsi exhorté Mobutu et les commissaires [commissaires généraux] à arrêter Lumumba. Avec un mandat d’arrêt valide, nous pensions que l’ONU permettra aux congolais chargés de l’arrestation de s’acquitter de cette tâche. [Hélas] L’arrestation aurait pu fonctionner si Dayal n’avait pas remplacé Cordier pour le moment.  »[i] Larry Devlin confirme que l’ultimatum donné aux troupes de l’Onuc par Bomboko et Mobutu pour livrer Lumumba ou accepter une attaque de la résidence par les troupes de l’ANC-Mobutu était une idée soutenue par l’ambassadeur américain ; et ce, même si, finalement, il a déconseillé l’assaut. En l’absence d’infléchissement de la position de Dayal, soutenue par Hammarskjöld, d’autres stratégies subtiles seront élaborées pour tenter de sortir Lumumba de son refuge derrière le cordon onusien. Etienne Tshisekedi, un membre du Collège des commissaires généraux qui avait signé le mandat d’arrêt, ira même jusqu’à suggérer qu’on coupe l’eau et l’électricité à la résidence du Premier ministre[ii] !

L’opposition ferme des Américains à l’ouverture du parlement congolais, les pressions sur l’ONUC pour faire arrêter Lumumba et ses disciples, pourtant élus démocratiquement, et leur remplacement par un pouvoir dont les ténors étaient des parvenus n’ayant aucune ou peu de légitimité (parmi Mobutu, Bomboko, Nendaka et Ndele, seul Bomboko était un élu d’un petit parti ethniciste) placeront les Etats-Unis en contradiction avec les principes qu’ils prétendaient défendre, à savoir la démocratie parlementaire. Les pays afro-asiatiques seront révoltés

Les pays afro-asiatiques seront révoltés. Ceci amènera Hammarskjöld à revoir sa position dans la révocation de Lumumba et à déclarer aux Américains que, le remplacement du Premier ministre Lumumba n’ayant pas été validé par le parlement, il considérait toujours Lumumba comme le Premier ministre légal qui devait bénéficier de la protection de l’ONU.

Victoire des Etats-Uni à l’ONU pour Kasavubu

Selon un document déclassifié du Département d’État, lorsque huit pays africains et asiatiques, dont les troupes figuraient au sein de l’ONUC, décidèrent de faire siéger la délégation du gouvernement congolais (c’est-à-dire de Lumumba) à l’Assemblée générale de l’ONU, les États-Unis conseillèrent à Kasa-Vubu de nommer une délégation et de se présenter toutes affaires cessantes à New York à la session de l’Assemblée générale de l’ONU, et il vint en effet à New York. Après un débat âprement disputé durant lequel les États-Unis ne lésinèrent ni sur les menaces envers les pays d’Amérique latine ni sur la corruption, la délégation de Kasa-Vubu a réussi à avoir gain de cause.

Comme Richard D. Mahoney l’a écrit dans JFK : Ordeal in Africa, les États-Unis, cependant, ont payé le prix fort pour la victoire, car ce vote creusera davantage une méfiance profonde entre les Occidentaux et les Africains. Tous les principaux pays contributeurs de troupes se sont rangés du côté de ceux qui étaient opposés à l’occupation du siège du Congo par la délégation de Kasa-Vubu. Mahoney rapporte aussi que le sénateur Wayne Morse, qui servait à l’époque en tant que délégué américain auprès de l’ONU, a décrit l’acte de la délégation américaine comme une « terrible erreur » qui a fait perdre la confiance des Africains envers les États-Unis. « Vous pouvez acheter votre Kasa-Vubu, vous pouvez acheter quelques comparses au Katanga, mais ce n’est que temporaire, et vous construisez sur des sables mouvants […] » En forçant la question des pouvoirs, les États-Unis et d’autres puissances occidentales ont peut-être enfoncé un clou dans le cercueil politique de Lumumba, mais leur action n’a donné d’autre choix à ses partisans que de déplacer  le gouvernement central a une autre location. Fin novembre, Gizenga et  Victor Lundula mettent en place  un gouvernement central  rival à Stanleyville. Il y aura  alors, au moins nominalement, quatre gouvernements au Congo.

Encore en résidence surveillée à  Léopoldville, parallèlement à la lutte diplomatique, Patrice Lumumba a demandé aux membres du gouvernement central de rejoindre Stanleyville pour faire fonctionner le gouvernement reconnu, afin de reconquérir le Congo. Fin novembre, Antoine  Gizenga et Victor Lundula mettent en place un gouvernement central à Stanleyville. Ce gouvernement réussit à contrôler militairement l’intégralité de la province du Kivu, de la province Orientale ainsi que d’une partie des provinces du Katanga (le Nord Katanga étant libéré), du Kasaï (l’ANC avait réussi à libérer Luluabourg) et de la province de l’Équateur.


[i] L. Devlin, page

[ii] R.D. Mahoney, p. xx

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