RDC : « C’est Tshisekedi qui a légitimé le combat de l’Alliance Fleuve Congo »
- Dans République démocratique du Congo
- 28 mars 2024
- Hubert Leclercq
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Jean-Jacques Mamba, ancien député national, ancien porte-parole du MLC de Jean-Pierre Bemba a décidé il y a quelques semaines de rejoindre l’Alliance Fleuve Congo de Corneille Nangaa et de s’engager contre le régime de Félix Tshisekedi. Rencontre à Bruxelles.
Quel a été l’élément déclencheur de votre départ du MLC ?
Je parlerais d’abord d’une inadéquation entre ma perception de la chose politique et la manière dont le parti avait évolué au moment j’ai pris la décision. Le MLC est un parti qui s’est construit dans l’opposition, qui a toujours eu une ligne claire et qui a osé porter la critique face au pouvoir. A partir du moment où nous sommes entrés au pouvoir, le cap était beaucoup moins clair. Moi, en tant que porte-parole, je ne m’y retrouvais plus et je n’avais pas envie de faire semblant, pas envie d’accompagner une histoire boiteuse qui ne correspondait ni à ma vision cartésienne de la chose publique.
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Rejoindre l’Alliance Fleuve Congo (AFC) était la seule voie crédible ?
En confisquant le pouvoir par un coup d’État constitutionnel, Tshisekedi a légitimé le combat de l’Alliance Fleuve Congo et rendu possible l’adhésion de tout démocrate à cette organisation. Mon adhésion à l’AFC était donc justifiée par ma résolution à continuer à m’engager politiquement et à mettre mon savoir-faire au service des combats essentiels pour mon pays. Et la question dite de l’Est est essentielle à mes yeux et existentielle pour le pays. Ce n’est pas en soi la question de l’Est, mais c’est du Congo, de sa gouvernance et de son devenir qu’il s’agit.
Les problématiques mal gérées de guerre, des groupes armés, des déplacés et de la pacification me parlent beaucoup. Mon père fut militaire et il a péri sur ce front de l’Est. Par mon engagement au sein de l’AFC, je me suis dit que je pourrai peut-être apporter tant soit peu, une petite contribution intellectuelle à cette question dite de l’Est.
Aujourd’hui, après que Tshisekedi est parvenu, par des manœuvres frauduleuses à liquider l’opposition politique en la rendant inactive, il m’est apparu que sur terrain, seule l’AFC porte les revendications constitutionnelles qui, progressivement, mobilisent de plus en plus de Congolais. L’objectif commun est de barrer la route à Monsieur Tshisekedi, principal instigateur et responsable de la résurgence de la violence dans cette région. C’est donc comme je le disais, les dérives autoritaires de Monsieur Tshisekedi qui ont donné du sens aux revendications de l’AFC et légitimé son combat.
Cela signifie-t-il que, à vos yeux, il n’y a plus d’espace pour le jeu politique traditionnel en RDC ?
Je l’ai dit, Tshisekedi a verrouillé toutes les issues démocratiques que la Constitution de la République reconnaît aux citoyens. Il a liquidé l’opposition politique en jetant hors des institutions, toute voie dissidente. Il a mis à sa solde et celle de sa famille, les institutions de l’État de sorte que l’assemblée nationale et les 26 assemblées provinciales qui éliront les gouverneurs sont toutes monocolores, mieux, constituées des membres de sa seule famille politique.
Même chez Poutine, personne ne peut croire que toutes ces assemblées peuvent être acquises à la majorité présidentielle comme c’est le cas aujoourd’hui en RDC. Il aura donc dédouané Kabila qui, en son temps, permettait à l’opposition politique non seulement de s’exprimer mais aussi d’avoir des représentants au sein des institutions. Tshisekedi a ramené le pays du temps du MPR-Parti Etat, où seul ce parti du maréchal Mobutu avait le rôle dirigeant.
Comment pourrait-on expliquer cette situation quand on sait que le pays compte des millions de déplacés, que M. Tshisekedi n’a tenu aucune de ses promesses, qu’il n’a pas installé son QG dans l’est comme promis, qu’il a visité plus de 100 pays dans le monde et qu’il ne connaît pas son propre pays ? Cela démontre à souhait que démocratiquement, le jeu est vicié, que, 30 ans plus tard, le pays est descendu aux bas-fonds du monopartisme avec ses excès comme ces chants en l’honneur du nouveau pseudo maréchal. J’ajouterai une autre évidence, comment expliquer qu’avec les 73 % allégués pour ce Monsieur lors de la présidentielle, on se retrouve face à un pouvoir qui est obligé de se radicaliser, de devenir de plus en plus violent. Regardez encore le cas de cet ancien ministre qui se retrouve à la prison de Makala parce qu’on estime qu’il a outragé le chef de l’Etat suite à la diffusion d’un enregistrement privé dans lequel il évoque simplement un article qu’il a lu. C’est surréaliste quand on se souvient que les Tshisekedi, père et fils, n’avaient d’autres arguments que l’insulte quand ils étaient dans l’opposition. Tous ces constats, et il y en a bien d’autres, démontrent le pourrissement de nos institutions et le fait, en effet, que le jeu politique, démocratique n’existe plus, qu’il est tombé sous la coupe d’un clan qui utilise les fonds de l’État pour asseoir et financer ses excès, corrompre toutes les institutions et empêcher tout jeu démocratique.
Y a-t-il un parallèle à faire entre la fin du mobutisme et ce que la RDC vit aujourd’hui ? Entre l’AFDL et l’AFC ?
Il y a un parallèle parce que ce sont des alliances. L’AFDL, c’était des forces congolaises soutenues, c’est un secret de polichinelle aujourd’hui, par des forces rwandaises mais aussi, notamment, des forces congolaises vivant en Angola. A l’époque, j’en ai fait partie. C’était le FNLC. Nous avons été mis à contribution. A un moment donné, quand on a vu que tout le pouvoir était verrouillé, tout le monde a fait le constat que nous n’avions pas d’autre alternative, que nous devions passer par la force. C’est le même contexte aujourd’hui, près de trente ans après.
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Et le parallélisme peut être fait avec ce que l’on vit maintenant parce qu’en réalité, des troupes de l’époque, les FAZ, se sont battues à Kenge et un peu à Kisangani. Pour le reste, c’était une marche de santé, les villageois eux-mêmes indiquaient les sentiers par lesquels les troupes devaient passer. Aujourd’hui, quand on voit la chute de Nyanzale, de Rwindi et de quelques localités, cela démontre à suffisance qu’il est très difficile de demander à un soldat congolais qui touche moins de 70 dollars et qui n’a droit qu’à une boîte de sardines par jour, de combattre vaillamment dès lors qu’il sait que s’il tombe au front, sa famille sera délogée du camp et qu’il sera enterré sur place, sans le moindre honneur. D’autant plus quand il voit qu’il y a des mercenaires qui gagnent jusqu’à 3500 à 5000 dollars et qui ne sont pas sur le terrain. Et donc ce parallélisme peut encore être établi dès lors que nous considérons qu’aujourd’hui, nonobstant les 2 milliards de dollars dépensés ces deux dernières années pour le paiement des différentes forces, il n’y a aucune avancée sur le terrain. Le bilan de tout ceci ce sont des millions de déplacés. Le bilan, c’est aucune localité récupérée. Le bilan, c’est cette armée étrangère qu’on juge fort inefficace, qui vient sans mandat offensif et pour laquelle on dépense beaucoup d’argent. Le bilan, ce sont des slogans et une armée dont on nous dit qu’elle monte en puissance mais qui continue à perdre des territoires.
Le parallélisme, c’est donc aussi qu’au au plus fort de Mobutu, de sa dictature, au plus puissant il paraissait dans l’opinion, plus facile il a été de le démystifier avec une opposition armée parce que, comme il ne s’occupait que de sa garde républicaine, les militaires des FAZ dans leur ensemble n’étaient presque plus motivés. En fait, tout le monde voulait que Mobutu parte. Aujourd’hui, je constate cette volonté, cette lassitude, cette fatigue de voir à la tête de l’Etat, un Monsieur impertinent, un va-t-en guerre d’une instabilité chronique, pathologique. Un Monsieur qui menace le président Kagame quand il est devant des Congolais mais qui est incapable de réagir quand on lance deux obus sur l’aéroport de Goma et qu’on détruit un Soukhoï. Un Monsieur qui dit qu’il va rencontrer Kagame au ciel et qui aujourd’hui est en train de supplier pour parler avec Kagame. Pour en finir avec ce parallélisme, on peut dire qu’il y a 30 ans le mal de notre pays c’était Mobutu, aujourd’hui le mal s’appelle Félix Tshisekedi.
En parlant de parallélisme, les soutiens que vous évoquez pour l’AFDL en 1996-97, lors de la première guerre du Congo, sont-ils les mêmes aujourd’hui pour l’AFC ?
Le vrai parallélisme, c’est que ce sont des alliances et que ce sont des initiatives congolaises menées par des Congolais. On a un objectif précis et toute aide, d’où qu’elle vienne, est la bienvenue. Il est évident que les batteries de missiles postées sur la frontière congolo-rwandaise par Kigali nous ont permis d’éviter des attaques aériennes qui nous ont causé beaucoup de pertes en vies humaines. En se protégeant, Kigali nous protège.
Mais un mouvement comme le vôtre nécessite des fonds…
Vous seriez surpris de savoir d’où vient une grande partie de ces fonds…
C’est à dire ?
Ces fonds auxquels je pense, et qui sont importants, viennent pour une large part de Kinshasa. Si j’en révèle l’origine, Tshisekedi appliquera la peine de mort contre tout le monde. Nous recevons des appuis substantiels de certaines personnes de l’actuelle majorité, de certaines entreprises publiques et même de certains officiers supérieurs.
Pourquoi miseraient-ils sur vous alors qu’ils sont au pouvoir ?
Vous pourrez bientôt leur poser la question. Aujourd’hui, presque tous nous financent clandestinement. Parce qu’ils ont peur pour eux et surtout pour leurs familles.
Toutes ces personnes sont aux côtés de Tshisekedi sans le porter ni partager ses dérives. Elles ne jurent que par son départ et c’est ce qui nous motive le plus. Ils ont compris qu’il n’y a rien à attendre de ce pouvoir. En dehors des slogans, il n’y a rien de concret pour le pays. Quels sont les investissements qui sont réalisés… à part l’usine de cure-dent inaugurée avec faste. L’Allemagne de l’Afrique, les 5 millions d’emplois annoncés au début de son premier mandat, rien ne se concrétise. Tshisekedi est de plus en plus isolé et il ne s’en rend pas compte ou il refuse de s’en rendre compte. Un isolement interne et externe. Malgré ses gesticulations, malgré ses dénonciations, vous voyez bien qu’il ne se passe rien, qu’il n’y aucune sanction internationale.
Lorsque vous avez annoncé votre passage à l’AFC, je me souviens que Corneille Nangaa, le coordonnateur du mouvement avait, lui, annoncé que vous seriez bientôt rejoint par d’autres personnalités. On attend toujours.
J’en connais plusieurs qui m’appellent et me soutiennent, même financièrement, sans les avoir sollicitées. Elles sont là. Mais elles se trouvent à Kinshasa, leur famille aussi. Sortir dans ces conditions, c’est aujourd’hui encore très dangereux. Mais ça va venir. De nombreuses personnalités ne font plus confiance dans l’inconstance du président. C’est quand même Tshisekedi qui a invité Kagame à Kinshasa, qui a demandé qu’il soit ovationné, qui a expliqué que c’était un partenaire fiable. A quelle date Kagame a-t-il cessé d’être un partenaire fiable pour devenir Hitler. Toute cette agitation de Tshisekedi est excessive et tout ce qui est excessif est insignifiant. Tshisekedi a bien compris que les gens le fuyaient et qu’ils étaient de plus en plus nombreux à le faire. La levée du moratoire sur la peine de mort, c’est, pour Tshisekedi, une tentative désespérée d’empêcher les gens de le quitter en les menaçant de mort pour trahison. C’est un geste désespéré qui risque de lui coûter très cher. Imaginez le tollé international s’il met à exécution sa menace avec une justice qu’il a qualifiée lui-même de malade.
Vous avez parlé à plusieurs reprises d’une politique de slogans. Ces slogans semblent séduire nombre de Congolais qui vous assimilent au M23, donc au Rwanda, donc au principal adversaire de la RDC ?
Il faut déconstruire ce narratif. C’est notamment ma tâche, je suis le représentant de l’AFC pour l’Union européenne et l’Amérique du Nord. Pourquoi faut-il déconstruire ce narratif ? D’abord, parce qu’il est faux. Ensuite parce qu’il ne mène nulle part pour une raison toute simple, le Rwanda restera notre voisin à vie, comme les 8 autres pays qui sont à nos frontières. Nous devons tout faire pour vivre en harmonie. Malgré notre taille, nos richesses, nous avons besoin du Rwanda et vice versa. J’ai pu visiter le Rwanda, l’Angola et d’autres pays frontaliers, j’ai toujours rencontré des Congolais qui y sont médecins, enseignants, employés… ils sont mariés avec des femmes de ces pays. Il y a toute une génération mixte qui se réclame des Congolais et des Rwandais ou des Congolais et des Angolais. Et c’est la même chose avec nos autres voisins. Il faut avoir une vision transversale, un peu comme en Europe aujourd’hui, qui abolit les barrières, qui établit les mêmes droits sociaux pour tous ceux qui sont dans l’espace européen, ce qui renforce la cohésion et permet d’avoir des politiques publiques efficaces. Il n’y a que l’intelligence qui va résoudre ces problèmes-là. Donc, il faut quitter ce narratif victimaire. On a tout ce qu’il faut pour bâtir un grand pays. Une région riche et prospère. Il faut juste la sagesse et l’intelligence pour construire cet avenir. Deux qualités qui font défaut aujourd’hui au sommet du pouvoir à Kinshasa.
Revenons sur le terrain, l’AFC est aux portes de Goma, elle est aussi désormais dans le Sud-Kivu, le mouvement va-t-il sortir des Kivu pour cibler l’Ituri, la Tshopo, le Maniema ou le Tanganyika ?
Notre objectif, c’est de progresser en cherchant à éviter au maximum les pertes en vies humaines. Si vous regardez les derniers rapports des ONG, vous constaterez que les trop nombreux massacres qui se déroulent encore et toujours dans l’est sont commis par des mouvements rebelles que nous combattons comme les Zaïre ou la Codeco. Dans les zones que nous avons libérées, nous veillons à la sécurité de nos compatriotes. Je ne vais pas dévoiler nos cartes mais je peux dire qu’il faut s’attendre à ce que l’on progresse, qu’on s’étende peut-être vers le Maniema ou plus au Nord. Le cas de Goma est très particulier. Sans les pressions internationales, nous serions déjà dans Goma. Nous y sommes de toutes les façons, à juste 20 km côté Nyiragongo, et 25 km côté Saké. Nos avant postes sont dans Goma et y opèrent en collaboration avec les autorités locales.
Si le ton change à Kinshasa vous pourriez vous asseoir demain à la table des négociations avec Monsieur Tshisekedi ?
Je ne peux préjuger de l’avenir, Tshisekedi n’ayant ni parole ni sens de l’honneur. Négocier avec lui, pour sa reddition éventuelle, nous apprécierons le moment venu. Par son entêtement, il est impitoyable à l’égard de nos compatriotes qui souffrent dans les camps des déplacés. L’AFC veut éviter d’ajouter de la souffrance à la souffrance quotidienne des Congolais. Ce que nous traversons aujourd’hui, c’est un passage obligé, un électrochoc qui vise à nous débarrasser d’un pouvoir illégitime pour aller vers la paix et la reconstruction d’un État où tous les Congolais auront leur place et le droit de vivre en paix et où ils pourront bénéficier des fruits de leur travail. Ce n’est pas un slogan. Il y a de la place pour tout le monde dans notre pays et des richesses en suffisance. Il y a peu de pays au monde qui peuvent dire ça sereinement. Nous, les Congolais, nous pouvons le dire. Demain, nous pourrons le vivre.