Comment reconstruire l’État congolais?

En RDC, la déliquescence de l’État conditionne tout le reste. Le préalable à toute amélioration est de s’attaquer à une lutte implacable contre la corruption et les pratiques clientélistes afin de rétablir la fonction fiscale publique.

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Une opinion de Filip Reyntjens, Professeur ém. à l’Institut de politique du développement (IOB), Université d’Anvers

Le Congo a récemment été dans l’actualité à l’occasion des élections tenues en décembre dernier, tout comme il l’est malheureusement depuis trois décennies à cause de l’extrême violence qui touche surtout l’est du pays. Ces événements donnent lieu à des prises de position sur des thèmes comme la qualité de la démocratie, les droits humains et le retour négocié à la paix. Toutes ces questions sont importantes, mais n’abordent pas le défaut essentiel du pays.

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Ce défaut essentiel conditionne tout le reste : la déliquescence d’un État qui n’assume pas ou peu ses fonctions principales de souveraineté. Si la RDC est un État juridique, elle n’en possède empiriquement pas la plupart des caractéristiques. Le contrôle territorial tant physique qu’administratif n’est pas assuré, et cela non seulement dans l’Est mais partout à travers le pays. Les forces de l’ordre sont le miroir de la faiblesse étatique ; les autorités politiques et administratives, tant nationales que régionales ou locales, sont relativement absentes et n’entretiennent que peu de liens avec la population. La fonction fiscale est en partie privatisée, les impôts ne sont pas perçus de façon performante, les revenus pas dépensés de façon efficace et transparente. L’État de droit est défectueux, et cette situation a des retombées néfastes pour les droits humains et la sécurité contractuelle indispensable à la création d’un environnement propice aux investissements et à l’initiative économique. L’État est incapable de fournir les services essentiels à sa population, notamment dans les domaines de la santé, de l’enseignement et des infrastructures. Le contrat social qui doit lier le pouvoir public à la population est ainsi absent. Cette situation diminue fatalement la légitimité de l’ensemble du système politique, administratif et sécuritaire.

Le drame de l’Est

La violence qui frappe l’est du pays depuis trois décennies montre bien l’importance d’un État fonctionnel. Ce n’est qu’en son absence que des groupes armés, tant congolais que venant de pays voisins, et même les armées gouvernementales de pays de la région, peuvent semer la terreur et détruire la vie de millions de civils congolais. Cette déliquescence permet également à des réseaux criminels – congolais, régionaux et internationaux – d’exploiter les ressources minières et agricoles du pays, faisant ainsi obstacle au développement national.

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Destruction depuis Mobutu

La destruction de l’État a été un long processus qui ne s’est pas produit du jour au lendemain, mais s’est fait à petits pas depuis l’ère de Mobutu. Une politique prédatrice a progressivement “déshabillé” l’État, pour enfin aboutir à la carcasse qui reste aujourd’hui. Ceux qui ont succédé à Mobutu depuis 1997 – Laurent Kabila, Joseph Kabila et Félix Tshisekedi – ont été défaillants dans le domaine de la reconstruction étatique. Il est vrai que le défi est immense et qu’il n’est pas possible de reconstruire en quelques années ce qui a été détruit durant des décennies. Il sera donc nécessaire de procéder pas à pas, en commençant par quelques domaines stratégiques qui, en tant que modèles, pourront comme une tache d’huile vertueusement “infecter” d’autres domaines.

L’“argent facile” provenant de ces ressources dispense l’État de développer une fiscalité équilibrée et de s’engager dans un contrat social avec ses citoyens qui en échange de leurs impôts bénéficieraient des services de l’État.

D’abord la corruption

Une lutte implacable contre la corruption et les pratiques prédatrices et clientélistes devra constituer le premier cercle, parce qu’elle doit générer les moyens nécessaires pour aborder les cercles suivants. Le rétablissement de la fonction fiscale publique doit briser un cercle vicieux : les agents publics mal payés arrondissent leurs fins de mois, ôtant ainsi à l’État les moyens de les rémunérer convenablement, ce qui les oblige à leur tour à pratiquer une fiscalité privée, et ainsi de suite. À des niveaux plus systémiques, les pratiques de “commissions” lors de l’attribution de marchés ou la conclusion de contrats internationaux doivent être agressivement combattues jusqu’aux échelons les plus élevés de l’État.

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Les cercles suivants sont l’administration publique, les forces de l’ordre et la justice.

La malédiction des ressources

Afin de générer les moyens nécessaires pour cette politique, la gestion du potentiel économique sera cruciale. Déjà pendant la période coloniale, la RDC était présentée comme un “scandale géologique”. Son sous-sol recèle une masse impressionnante et diversifiée de matières premières, dont certaines ont une importance stratégique mondiale. En principe, le pays possède donc les moyens pour financer son propre développement. Cependant, on n’achète pas grand-chose avec un “potentiel” et la RDC est un exemple tragique du phénomène connu comme la “malédiction des ressources” : la proportion des exportations de ressources naturelles n’a pas seulement un effet négatif sur le taux de croissance des pays en question, mais a également des effets pervers sur leurs institutions politiques. Elle crée des conditions propices à la corruption et aux gaspillages. L’“argent facile” provenant de ces ressources dispense l’État de développer une fiscalité équilibrée et de s’engager dans un contrat social avec ses citoyens qui en échange de leurs impôts bénéficieraient des services de l’État. Afin de mettre cet immense potentiel au service du développement, il doit être réorienté vers l’intérêt général. Par exemple, une pratique largement diffusée consiste dans l’exploitation minière dans des “enclaves” isolées de l’ensemble de l’État et en particulier de ses systèmes fiscal et de protection sociale. Elle bénéficie à des particuliers, souvent des entrepreneurs de l’insécurité qui saisissent les opportunités offertes par l’absence d’État, l’instabilité et les guerres. Les fuites vers des pays voisins et, de là, vers les marchés mondiaux, privent ainsi l’État de ces moyens pour promouvoir le développement. Ces phénomènes sont bien connus, mais insuffisamment combattus face à l’influence d’une classe politique prédatrice, d’entreprises étrangères et de pays dans la région et de par le monde. D’un handicap, ces ressources doivent donc devenir un atout.

Condition à la reconstruction

Ce revirement ne sera possible, cela doit être souligné et répété, qu’en présence d’un État minimalement performant. C’est sur les avancées dans cette direction, mesurées d’une étape à l’autre sur une feuille de route bien définie, que les détenteurs du pouvoir pour les cinq années à venir devront être aidés et jugés. C’est également sur cette base que les interventions au titre de coopération au développement devront être évaluées : si elles ne contribuent pas à la reconstruction étatique, elles sont au mieux inefficaces, au pire contre-productives.

By Habari

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