Félix Tshisekedi peut-il faire confiance à Yoweri Museveni ?

Déjà en conflit ouvert avec le Rwanda, la RDC est réticente à ouvrir un autre front diplomatique. Pourtant, selon le dernier rapport de l’ONU, Kampala soutient bel et bien les rebelles du M23, dans l’Est. Tout en combattant un autre groupe armé, les ADF, aux côtés cette fois de l’armée congolaise.

Les présidents congolais, Félix Tshisekedi (g.), et ougandais, Yoweri Museveni, le 9 novembre 2019 à Entebbe, en Ouganda. © Sumy Sadurni/AFP
Les présidents congolais, Félix Tshisekedi (g.), et ougandais, Yoweri Museveni, le 9 novembre 2019 à Entebbe, en Ouganda. © Sumy Sadurni/AFP
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Publié le 8 juillet 2024Lecture : 5 minutes.

Le 22 mai, pour son premier discours en tant que président de l’Assemblée nationale, Vital Kamerhe a consacré une partie de son allocution à la guerre dans l’Est, où les rebelles du M23 contrôlent désormais de larges pans du Nord-Kivu. « Le Rwanda et l’Ouganda causent l’insécurité [dans] l’est de la RDC », a-t-il dénoncé. La mention de l’Ouganda a son importance. Si Kigali est systématiquement mis à l’index pour son appui aux rebelles, il est bien plus rare que Kampala soit publiquement nommé.

Multiplication d’indices

Soutien actif et avéré de ces mêmes rebelles lors de leur première offensive en 2012, l’Ouganda joue depuis plus de deux ans un jeu pour le moins trouble dans la sous-région. Dès juin 2022, Kampala a été soupçonné d’avoir facilité la chute de Bunagana, ville frontalière stratégique désormais aux mains du M23. Malgré cela, son implication aux côtés de la rébellion a été moins documentée que celle du Rwanda. Mais au fil des mois, les indices démontrant un lien entre les milieux sécuritaires ougandais et le M23 se sont multipliés. Dans son dernier rapport, daté du 31 mai, que Jeune Afrique a pu consulter, le groupe d’experts de l’ONU détaille plus amplement le soutien et les facilités dont bénéficient, sur le sol ougandais, les rebelles et les membres de la plateforme Alliance fleuve Congo (AFC), formée par Corneille Nangaa en décembre 2023.

« Depuis la résurgence de la crise du M23, l’Ouganda n’a pas empêché la présence des M23 et des soldats rwandais sur son territoire, ni leur passage, y compris lors de la prise de Bunagana, le 12 juin 2022 », affirment les auteurs du rapport. Ces deux dernières années, précisent-ils, les mouvements de rebelles à la frontière ougando-congolaise ont été de plus en plus fréquents, si bien qu’il est « très peu probable » qu’ils aient pu se faire à l’insu des autorités ougandaises. Les postes frontières de Kisoro et Bunagana sont aujourd’hui des points de passage réguliers pour les nouvelles recrues du M23.

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Dans leur rapport, les experts de l’ONU disent aussi détenir des preuves de la présence de membres de l’armée et d’agents du renseignement ougandais, le redoutable Chieftaincy of Military Intelligence (CMI), dans les zones sous contrôle du M23 depuis la fin 2023. Une présence destinée à « assurer la coordination avec les dirigeants du M23, fournir la logistique et transporter les dirigeants du M23 vers les zones contrôlées par la rébellion ».

Bisimwa et Makenga, habitués de Kampala

À Kinshasa, l’entourage du président Félix Tshisekedi s’agace depuis plusieurs mois des facilités dont bénéficient, en Ouganda, plusieurs cadres de la rébellion. Les liens entre certains dirigeants du M23 et Kampala ne sont plus à démontrer : après leur défaite militaire en 2013, plusieurs d’entre eux ont choisi de s’exiler en Ouganda. C’est notamment le cas du président de l’aile politique de la rébellion, Bertrand Bisimwa, et de son chef militaire, le « général » autoproclamé Sultani Makenga. Ce dernier est même soupçonné d’y loger une partie de sa famille.

De ces années d’exil, les chefs du M23 ont conservé des réseaux dans l’establishment militaire local, et notamment au sein du CMI qui, selon plusieurs sources diplomatiques à Kampala, est chargé de suivre les mouvements des rebelles sur le sol ougandais. Sultani Makenga a d’ailleurs continué de se déplacer à Entebbe et à Kampala, « en violation de l’interdiction de voyage qui le vise », précise le dernier rapport des experts onusiens.

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Depuis plus d’un an, Corneille Nangaa est aussi un visiteur régulier. Avec l’AFC, l’ancien président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), devenu un opposant virulent à Félix Tshisekedi, entend renverser le président congolais. Pour préparer la création de sa plateforme, il s’est rendu à plusieurs reprises dans la capitale ougandaise entre mai 2023 et mars 2024, afin d’y tenir des rencontres avec des cadres du M23 et d’autres groupes armés. Il a aussi bénéficié de l’aide d’Andrew Mwenda, une personnalité ougandaise issue du monde des médias.

D’après le rapport de l’ONU, ce proche du général Muhoozi Kainerugaba, le fils du président ougandais et chef d’état-major de l’armée, a aidé Nangaa à approcher certaines ambassades sur place. Contacté par Jeune Afrique, Nangaa reconnaît s’être rendu en Ouganda, mais nie connaître Andrew Mwenda. Les renseignements congolais le soupçonnent, lui aussi, de loger une partie de sa famille à Kampala, ce que l’intéressé conteste, affirmant de ne pas avoir vu ses proches depuis le début de son exil, en avril 2023. « Le CMI leur a donné une consigne, celle de rester discrets lorsqu’ils sont sur place », affirme un diplomate en poste à Kinshasa. Les autorités et les services de renseignements ougandais ont nié, auprès du panel onusien, avoir connaissance de mouvements de troupes sur leur territoire.

Un enjeu militaire et économique pour l’Ouganda

De fait, Kampala a toutes les raisons de se montrer prudent et discret. Voilà maintenant plus de deux ans que son armée est engagée dans une opération conjointe, aux côtés des Congolais, dans l’est de la RDC. Baptisée « Shujaa » et lancée en novembre 2021, l’offensive a pour but d’éradiquer les Forces démocratiques alliées (ADF), groupe islamiste armé actif dans le Nord-Kivu et en Ituri. Kampala considère les ADF comme une menace pour sa propre sécurité. Un sentiment renforcé par les attaques perpétrées sur son territoire ces dernières années.

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Par ailleurs, Museveni tente d’accélérer un projet d’infrastructures routières dans l’est de la RDC. L’affaire est source de tensions avec le Rwanda, qui demeure un concurrent direct pour capter les réseaux informels du commerce de l’or.

L’opération Shujaa est donc cruciale à plus d’un titre pour Yoweri Museveni, qui fait de la stabilité l’un de ses arguments pour se maintenir au pouvoir, et un soutien trop direct au M23 pourrait questionner la pertinence des efforts militaires conjoints contre les ADF.

Félix Tshisekedi face à un dilemme

Or Shujaa est aujourd’hui très critiquée à Kinshasa, ne serait-ce que parce que les ADF demeurent le groupe armé le plus meurtrier à opérer dans l’est de la RDC. Si l’entourage de Félix Tshisekedi refuse de parler d’échec, certains conseillers du chef de l’État congolais plaident pour revoir le cadre de cette opération et la transformer en un mécanisme conjoint de renseignement, sans que des troupes ougandaises soient déployées sur le sol congolais.

Félix Tshisekedi a beau être de plus en plus méfiant vis-à-vis de son voisin, il n’en reste pas moins confronté à un dilemme : réticent à ouvrir un deuxième front diplomatique avec un autre de ses voisins à l’heure où les tensions avec le Rwanda sont déjà vives, il doit se montrer prudent avec l’Ouganda. Il a néanmoins cherché à plusieurs reprises à clarifier, avec Yoweri Museveni, son degré d’implication auprès des rebelles.

Les services de sécurité congolais se sont par ailleurs inquiétés de la nomination, en mars dernier, du fils du président ougandais à la tête de l’armée. Muhoozi Kainerugaba s’est en effet distingué ces dernières années pour ses messages de soutien au M23 et pour son amitié revendiquée avec le président rwandais, Paul Kagame, qu’il surnomme son « oncle ». Reste à savoir s’il conservera la même attitude maintenant qu’il dirige l’armée.

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