RDC : l’article 217 de la Constitution pose-t-il vraiment problème ?

C’est en partie à cause de cet article, qui évoque des questions de souveraineté, que le président Félix Tshisekedi dit réfléchir à une modification de la Constitution. Mais il en propose une lecture toute personnelle.

Félix Tshisekedi brandissant une copie officielle de la Constitution congolaise, le jour de son investiture à la présidence de la RDC, le 24 janvier 2019. © TONY KARUMBA / AFP
Félix Tshisekedi brandissant une copie officielle de la Constitution congolaise, le jour de son investiture à la présidence de la RDC, le 24 janvier 2019. © TONY KARUMBA / AFP

Publié le 22 novembre 2024Lecture : 5 minutes.

« On veut nous obliger à abandonner une part de notre souveraineté à des États voisins », harangue Félix Tshisekedi depuis Lubumbashi. La foule grogne. « Et on nous dit que nous n’avons pas le droit de revoir ça ? » poursuit-il, sous les encouragements bruyants du public. En déplacement dans la province du Haut-Katanga, le 16 novembre, le président de la RDC a proposé une lecture très personnelle de l’article 217 de la Constitution.

Désir d’unité

« La République démocratique du Congo peut conclure des traités ou des accords d’association ou de communauté comportant un abandon partiel de souveraineté en vue de promouvoir l’unité africaine », explicite l’article incriminé. Il a été pensé pour favoriser la construction africaine dans le contexte de la création de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) en 1963, l’ancêtre de l’actuelle Union africaine. Il apparaît dans la Constitution congolaise de 1967 sous une forme un peu différente et dans presque toutes les Constitutions des pays d’Afrique subsaharienne francophone.

Il faut voir dans l’écriture harmonisée de cet article « une philosophie politique » qui témoigne d’une époque où les pays africains désiraient l’unité, commente Me Doudou Ndoye, ancien ministre sénégalais de la Justice. « Au Sénégal, cet article a été pris du temps du président Senghor, à l’époque de la construction de l’unité africaine. Il a reçu deux applications concrètes. L’une concernant la création de l’Union économique et monétaire ouest-africaine [Uemoa], l’autre pour la création de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires [Ohada, à laquelle la RDC adhère d’ailleurs] », raconte Me Doudou Ndoye.

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À noter qu’une autre écriture est possible, à l’image du Gabon, où la Constitution qui vient d’être adoptée par référendum ne parle pas d’abandon de souveraineté. L’article est ainsi rédigé : « La République gabonaise, soucieuse de réaliser l’unité africaine, peut conclure souverainement tout accord d’intégration sous-régionale ou régionale. » L’article de la loi fondamentale précédente était écrit de la même façon.

« Un État ne peut pas vivre en autarcie »

La Constitution ivoirienne, qui dispose d’un article similaire à celui de la RDC, définit plus précisément son champ d’application : harmonisation des politiques budgétaires, coopération en matière de sécurité, coopération en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale, etc. Avec cet article, c’est l’association des pays africains et leur participation aux affaires du monde qui est en jeu, comme leur coopération avec des institutions internationales à l’instar d’Interpol, de la Cour pénale internationale (CPI) ou du Groupe d’action financière (Gafi).

« Un État ne peut pas vivre en autarcie », résume Dola Zié Traoré, docteur en droit public international. « D’où vient la notion de souveraineté totale ? C’est utopique ! Il n’y a jamais de souveraineté absolue », souligne cet universitaire ivoirien, qui moque la mode de la « souveraineté » en Afrique comme chez les putschistes sahéliens. « Dans le cadre de la RDC, c’est un problème identitaire. Le pays est tellement grand, il est en proie à tant d’agressions qu’il se gargarise de défendre une souveraineté absolue », relève Dola Zié Traoré.

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Le président Tshisekedi fait le lien entre l’article 217 et les conflits qui ensanglantent son pays depuis vingt ans. « Il y a des pièges dans cette Constitution. Et les guerres qui s’en sont suivies, la fameuse guerre du CNDP [le Congrès national pour la défense du peuple], la guerre du M23 d’hier et d’aujourd’hui, entrent dans ce cadre [de l’article 217] », développe-t-il.

Cette mise en cause de l’article 217 fait bondir l’opposition congolaise. Martin Fayulu dénonce sur X « une interprétation grossièrement erronée ». Un autre député consulté, dont le parti est membre de l’Union sacrée, rappelle « qu’il ne s’agit pas d’un abandon de territoire mais d’un abandon normal de souveraineté quand l’État en a besoin, comme pour solliciter l’aide des Casques bleus de la Monusco ». Modifier l’article 217 ? « Je croyais que c’était une blague », s’étrangle ce député panafricaniste.

Amalgame

La lecture faite de l’article 217 par le président Tshisekedi laisse aussi les constitutionnalistes dubitatifs. « Il n’y a même pas de lecture sémantique à avoir, il n’y a pas d’autre sens à lui donner, insiste Dola Zié Traoré. Ceux qui critiquent cet article n’ont en tête que la définition du Larousse. Ils ont une lecture trop littérale, trop exclusive de la souveraineté. La souveraineté ne se borne pas à l’intégralité territoriale. »

« Si l’on fait une analyse isolée des articles, on arrive à des conclusions erronées », avance Kayamba Tshitshi Ndouba, auteur de plusieurs livres sur la Constitution congolaise publiés aux éditions l’Harmattan. « Il faut aussi comparer la Constitution avec celles d’autres États africains et mettre en perspective l’histoire de notre constitutionnalisme. Nous plaidons pour une analyse systémique de notre Constitution », défend le chercheur.

Pour comprendre l’article 217, il faudrait le comparer à l’article 5 consacré à la souveraineté et à l’article 214, qui stipule que « nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire n’est valable sans l’accord du peuple congolais consulté par voie de référendum ».

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Enfin, la critique du président Tshisekedi n’est pas partagée par tout le monde au sein de son camp. « L’article 217, c’est une écriture qu’on trouve dans toutes les Constitutions. On parle de la construction africaine, ça ne m’embête pas en particulier, ça dépend de comment on l’interprète », partageait Jean-Claude Tshilumbayi, le premier vice-président de l’Assemblée nationale que nous avions rencontré à Kinshasa le 30 octobre 2024, avant que le débat enfle. Il reconnaissait cependant la sensibilité du mot souveraineté. « Nous, les académiciens, avons toujours eu peu de griefs par rapport à cette expression, car la souveraineté, c’est un tout », nuançait-il.

Manipulations et approximations

Le débat est ouvert, et chacun veut y apporter sa contribution, au grand dam des experts. « Il y a de l’instrumentalisation. Tout le monde se dit constitutionnaliste », souffle Kayamba Tshitshi Ndouba. À l’image de cette vidéo complotiste partagée sur X par Augustin Kabuya, le secrétaire général de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), le parti présidentiel. Un homme non identifié y explique que la RDC « peut donner une partie de son territoire pour promouvoir le panafricanisme », ce qui est faux. « Veuillez suivre cette information », somme Kabuya, qui plaide pour un changement de la Constitution.

« Tout le monde n’est pas constitutionnaliste », prévenait André Mbata, cadre de l’UDPS, lors des états généraux de la justice qui se sont déroulés mi-novembre à Kinshasa. Ce professeur de droit constitutionnel osera-t-il corriger le chef de l’État en cas de mauvaise compréhension de la loi fondamentale ? Et pour quel résultat ? « Je me préoccupe très peu de la polémique, je n’y regarde même pas », a déjà fait savoir Félix Tshisekedi.

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