RDC: le vrai retour de Patrice Lumumba
Il y a six décennies, le meurtre du Premier ministre congolais fut aussi un crime contre une jeune démocratie qui ne s’en est jamais remise. Son retour symbolique au pays pourrait y raviver l’« esprit » de Lumumba. Article réservé aux abonnés


Commentaire – Journaliste au service MondePar Colette BraeckmanPublié le 30/06/2022 à 16:50 Temps de lecture: 3 min
Il a fallu six décennies pour que Patrice Lumumba rentre dans son pays, pour qu’il soit inhumé avec tous les honneurs. Pour que son message, son sacrifice, son exemple soient rappelés à tous. Six décennies pour que la Belgique, après une « responsabilité morale » reconnue voici dix ans, – sans être assortie de réparations –, s’associe au deuil et dénonce, par la voix de son Premier ministre Alexander De Croo, le caractère « inacceptable » du crime commis contre un homme mais aussi contre une jeune démocratie qui ne s’est jamais relevée de cet assaut initial. C’est cela qu’il faut retenir, au lendemain du voyage du roi Philippe au Congo, du retour de la « dent » de Lumumba et des cérémonies d’hommage et de deuil qui ont accompagné cette restitution.À lire aussiLa Belgique restitue la dent de Patrice Lumumba à sa famille, Alexander De Croo présente des «excuses»
Car au-delà des polémiques factuelles et des craintes de récupération politique, personne n’est dupe : ce qui compte, c’est que la Belgique ait reconnu sa responsabilité dans un crime approuvé par elle du début à la fin, et que les Congolais se rappellent le rôle que jouèrent certains des leurs lors de l’élimination du Premier ministre. Et enfin que chacun prenne conscience du fait que la corruption de la classe politique congolaise trouve sa source dans ce détournement initial d’une légitimité qui était issue des urnes, car Lumumba avait été démocratiquement élu.
Effet boomerang
Certes, des doutes subsistent sur l’authenticité d’une dent qui ne fut pas expertisée, sur les arrière-pensées et les risques de récupération politique d’une évocation aussi solennelle de Patrice Lumumba à quelques mois des élections tandis que d’aucuns essaient déjà d’évaluer le coût financier de cette vaste opération. Mais l’essentiel n’est pas là : en rapatriant Lumumba et avec lui le souvenir de son combat politique, en promenant sa « relique » à travers le pays, le président Félix Tshisekedi a lui aussi pris des risques. Il a réveillé le patriotisme des jeunes générations et rappelé les combats de l’indépendance, il a démontré que le nationalisme congolais, l’attachement à l’unité du pays n’étaient pas de simples slogans et avaient gardé de profondes racines.À lire aussiRDC: 61 ans après, le cercueil de Lumumba, surtout lourd de chagrin
Sur le plan intérieur, ces valeurs soudain revivifiées pourraient avoir un effet de boomerang et exacerber l’exigence démocratique déjà défendue par de nombreuses associations citoyennes. Face aux voisins de l’Est, et en particulier le Rwanda qui porte la guerre au Congo, exploite ses ressources et tire profit d’une vénalité qui lui convient si bien, le retour symbolique de Lumumba pourrait aussi avoir des conséquences imprévues. Si le message du « prophète » des années 60 reprend possession du Congo, les « marchands du temple » pourraient bien être chassés et les forces armées congolaises se rappeler que la Force publique, qui fut jadis l’une des meilleures armées d’Afrique, demeure capable de défendre l’intégrité du pays, à condition qu’on lui en donne les moyens et que l’on réveille son idéal.
On découvrira peut-être un jour que l’« esprit » de Lumumba n’est pas seulement rentré dans son pays, mais qu’il n’est pas vraiment mort.