POLITIQUE

M23 en RDC : qui va payer pour la force régionale ?

Accusée par Kinshasa d’inaction face à la rébellion du M23, la force de l’EAC attend toujours le renouvellement de son mandat. En parallèle, ses États membres – Kenya en tête – tentent toujours d’obtenir des fonds pour soutenir leurs opérations.

24 avril 2023 à 17:58

Par Romain Gras

Mis à jour le 24 avril 2023 à 17:58

William Ruto et Charles Michel, le 29 mars 2023 à Bruxelles. © DURSUN AYDEMIR/Anadolu Agency via AFP

Critiquée par l’opinion congolaise, en délicatesse avec les Forces armées de RDC (FARDC) et une partie de l’entourage de Félix Tshisekedi, la force régionale de la Communauté de l’Afrique de l’Est (EACRF) a malgré tout continué à renforcer sa présence au Nord-Kivu, avec l’arrivée des premiers contingents ougandais et sud-soudanais début avril.À LIREEn RDC, le déploiement de la force régionale suffira-t-il à résoudre la crise ?

Toujours en cours de déploiement dans les zones où le M23 a amorcé un retrait, l’EACRF demeure confrontée à un problème chronique depuis sa création, en juin 2022 : celui du financement de ses opérations militaires.

Le lobbying de William Ruto

Selon les statuts de cette force – adoptés pour six mois en septembre 2022 et en attente de renouvellement –, les pays sont censés financer eux-mêmes l’intervention de leurs contingents. Mais les États membres, qui déploient des troupes dans l’est de la RDC, prospectent individuellement depuis des mois pour obtenir des fonds afin de soutenir leurs opérations. Et William Ruto est sans doute celui qui se montre le plus pro-actif dans ce domaine.

Premier pays à avoir déployé ses troupes à Goma, le Kenya joue un rôle moteur au sein de la force régionale. Le commandement de l’EACRF est d’ailleurs assuré par le général kényan Jeff Nyagah. Arrivé au pouvoir en septembre 2022, William Ruto avait initialement semblé hésitant à l’idée de s’investir dans le processus de Nairobi, impulsé par son prédécesseur, Uhuru Kenyatta, et s’était montré réticent à l’idée de déployer ses forces face au M23.À LIREM23 en RDC : le discret lobbying de Macron en faveur du déploiement kényan 

Il avait finalement officialisé l’arrivée de ses soldats le 2 novembre, après avoir échangé avec plusieurs de ses homologues, dont le président français Emmanuel Macron, qui avait alors évoqué sa disponibilité pour plaider, à Bruxelles, en faveur d’un financement de la Facilité européenne de paix (FEP) destiné au déploiement kényan. Bien qu’aucune demande formelle n’ait été déposée, cette question a néanmoins été abordée lors de la visite de William Ruto à Bruxelles, le 29 mars dernier. Le chef de l’État kényan y a notamment rencontré le président du Conseil européen, Charles Michel, avec qui il a évoqué le dossier de l’est de la RDC et l’avenir de l’EACRF.

Une semaine avant cette rencontre, Nairobi avait pris attache avec Bruxelles pour préciser ses ambitions. Le 22 mars, le ministre kényan des Affaires étrangères, Alfred Mutua, a adressé un courrier au haut représentant de l’Union européenne (UE) pour les Affaires étrangères, le diplomate Josep Borrell, afin de formuler une « demande de soutien pour le déploiement kényan » dans l’est de la RDC.

113,2 millions d’euros

Cette lettre, que JA a pu consulter, n’apporte aucune précision sur la durée potentielle des opérations kényanes, ni sur le montant exact demandé à l’UE. Elle est en revanche accompagnée d’un tableau récapitulatif des « besoins en matière d’opérations et de soutien logistique de l’EACRF » qui offre une vue d’ensemble sur le budget envisagé pour les interventions des contingents kényans, burundais et sud-soudanais – les besoins ougandais, eux, ne sont en revanche pas mentionnés.

Pour les actions des 904 soldats kényans devant faire partie de la force régionale, le document table sur un montant total de 113,2 millions d’euros. Une somme importante – loin des 37 millions d’euros anticipés par le ministère kényan de la Défense pour les six premiers mois de la mobilisation de ses hommes – qui est censée couvrir divers domaines allant du nécessaire logistique (comme les rations, l’équipement médical ou encore le stockage de l’eau) au matériel militaire.

Pour le déploiement d’un appareil de surveillance aérienne, un montant de 1,15 million d’euros est ainsi précisé. L’enveloppe pour l’achat d’armes de petit calibre est évaluée à 4 millions d’euros, tandis que 30,2 millions d’euros sont dévolus à des « véhicules d’appui au combat ». À titre de comparaison, les besoins des 300 soldats sud-soudanais sont évalués, dans le même tableau, à 40,1 millions d’euros, et ceux des 900 éléments de l’armée burundaise, à 107,1 millions d’euros.

Désorganisation

Cette requête kényane permettra-t-elle pour autant de débloquer des fonds ? Dans le cas de Nairobi, l’outil privilégié serait la Facilité européenne de paix. Mis en place en mars 2021, ce mécanisme permet de financer différents aspects du soutien militaire à un pays tiers, y compris des armes létales. Fin novembre, 20 millions d’euros avaient été débloqués par l’UE pour soutenir le déploiement rwandais au Mozambique.À LIREEst de la RDC : Félix Tshisekedi peut-il vraiment compter sur la force régionale conjointe ?

Mais avec une écrasante majorité des fonds du FEP aujourd’hui destinés à l’Ukraine, il faudra encore convaincre les autres pays membres de l’UE d’apporter le soutien sollicité. Un processus qui peut prendre de longs mois. Pour le moment, les demandes des pays membres, restées au stade informel, se sont heurtées à la réticence de certains partenaires, qui pointent du doigt la désorganisation des parties prenantes et du secrétariat de l’EAC – chacun plaidant pour ses propres financements –, ainsi que les contours flous du mandat de la force.

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