POLITIQUE
Face à Félix Tshisekedi, Joseph Kabila renfile les gants
L’ancien président s’est adressé aux barons de sa coalition, le 16 juin. Objectif : remobiliser les troupes et fixer le cap avant les élections de la fin de l’année.
19 juin 2023 à 18:01
Mis à jour le 19 juin 2023 à 18:01

Sans doute Joseph Kabila n’a-t-il pas craint que la proximité du week-end n’atténue la portée de ses déclarations. Ce vendredi 16 juin, devant les responsables des partis membres de la coalition Front commun pour le Congo (FCC) qu’il avait réunis, l’ancien président congolais n’y est pas allé par quatre chemins, se posant en résistant face à « la dictature de Félix Tshisekedi » et promettant de combattre son successeur à la tête du pays avec « toutes les garanties offertes par la Constitution ».
Très en verve
Loin de la Cité de l’Union africaine, où Félix Tshisekedi avait célébré trois jours plus tôt – avec faste et en présence de plus de 1 000 invités – son soixantième anniversaire, c’est à Kingakati, dans son domaine privé situé à 50 km à l’est de la capitale, que Joseph Kabila avait donné rendez-vous aux barons de son camp. Et il s’en est donné à cœur joie.À LIRECes pasteurs qui murmurent à l’oreille de Félix Tshisekedi
Devant les cadres du FCC, il a décrit une RDC « plus divisée qu’elle ne l’a jamais été depuis 1960 » et dénoncé une situation socio-politique, sécuritaire et économique « calamiteuse, dramatique et profondément chaotique ». La faute, selon lui, au « tribalisme, à l’exclusion, à la concussion, à la corruption, à la prédation et à l’instrumentalisation de la justice et des services de sécurité », qui ont creusé le fossé entre les différents communautés. « La cohésion et l’unité ont été détruites par le pouvoir en place », a-t-il martelé face à son auditoire.
L’ancien président ne s’est pas non plus privé d’affirmer que la souveraineté de la RDC avait été « bradée ». « Plus de cinq armées étrangères [sont présentes] sur le territoire national [et] contrôlent, ensemble avec les rebelles et les groupes armés, plusieurs territoires de notre pays », a-t-il lancé. Ce qui n’était pas le cas en janvier 2019, à l’en croire, lorsqu’il a quitté le pouvoir.
« Il n’existait pas sur le territoire national un groupe rebelle appelé M23, un mouvement criminel appelé les Mobondo. Le pays était entier, sa sécurité n’était pas externalisée auprès de plus de cinq pays de la région, il y avait une stabilité macro-économique […], les fonctionnaires étaient régulièrement payés et aucun mouvement de grève ne s’observait sur le territoire national. »
Il n’est néanmoins pas revenu sur le boycott du processus électoral, décrit comme « frauduleux et chaotique ». Il a même appelé le reste de l’opposition à suivre son mot d’ordre, et affirmé qu’il travaillait à « arranger » ses relations avec les différentes chancelleries et avec les Églises catholique et protestante – toutes avaient été très critiques de ses derniers mois passés au pouvoir.
« Les résistances, les vrais patriotes »
« Il y a ceux qui détruisent la RDC tous les jours, renforcent la tyrannie et s’entêtent à préparer et à organiser des élections chaotiques qui embraseront le pays, a-t-il poursuivi, très verve. Il y a ensuite les opportunistes qui font l’opposition la journée et qui, la nuit, sont dans les couloirs d’institutions désacralisées pour préparer un glissement et se retrouver par la magie de la honte dans le gouvernement. Enfin, il y a les résistants, qui sont de véritables patriotes, qui se battent tous les jours […] pour barrer la route à la tyrannie, empêcher l’implosion du pays, faire respecter les lois et la Constitution du pays et remettre la RDC sur les rails. » C’est bien sûr à cette dernière catégorie que Joseph Kabila dit appartenir.
KABILA DOIT RECONNAÎTRE SES ERREURS AVANT DE S’ÉRIGER EN DONNEUR DE LEÇON
En retrait depuis des mois, critiqué pour sa gestion du FCC, délibérément en retrait du processus électoral, Joseph Kabila peut-il encore peser ? L’opposant Moïse Moni Della estime qu’il doit « d’abord demander pardon aux Congolais pour sa gestion chaotique du pays pendant ses 18 ans au pouvoir ». Contacté par Jeune Afrique, un proche du président Tshisekedi affirme que l’ancien président se fait des illusions sur l’influence politique qui est désormais la sienne, soulignant qu’il n’a plus le contrôle de l’appareil étatique.À LIRERDC : « C’est facile d’accuser Kabila de tous les maux, mais Tshisekedi a-t-il fait mieux que nous ? »
« Il ne peut plus intimider personne »
« Aujourd’hui, Joseph Kabila ne peut plus intimider personne. Il va devoir convaincre parce qu’il n’a plus d’instruments de pression, de postes à offrir ou de menaces à formuler », explique notre source. Pour relativiser l’influence de Joseph Kabila, un cadre de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS, au pouvoir) ajoute qu’il « partage un même fief politique avec l’opposant Moïse Katumbi » : « Cela fait deux crocodiles dans un même marigot, le Katanga. Ce sont deux anciens rivaux, qui sont aujourd’hui alliés contre Félix Tshisekedi mais qui ont des agendas différents à moyen et long terme. »
« Kabila a adopté cette posture morale, il dénonce l’achat des consciences dans son camp, mais il a dirigé l’un des régimes les plus corrompus de RDC, tacle l’un de ses anciens alliés, qui a aujourd’hui rejoint la majorité. Un homme qui a fait glisser le calendrier électoral pendant deux ans n’est moralement pas en position de faire la leçon à Tshisekedi. Martin Fayulu, Moïse Katumbi, Denis Mukwege, oui. Mais pas Kabila qui a violé la Constitution pour prolonger son bail à la tête de l’État. Il faut qu’il reconnaisse ses propres erreurs avant de s’ériger en donneur de leçon. »
Joseph Kabila, lui, a prévu de parler aux députés et sénateurs qui lui sont restés fidèles avant de s’adresser directement aux Congolais, ce qui ne saurait tarder, assure son entourage.