POLITIQUE
En RDC, peut-on en finir avec la Codeco ?
Ce n’est pas le plus médiatique des groupes armés à l’heure où l’attention de la communauté internationale se concentre sur le M23, actif dans le Nord-Kivu, ou sur les ADF, affiliées à l’État islamique. Et pourtant, il est l’un des plus meurtriers.
3 juillet 2023 à 18:32
Par Jeanne Le Bihan
Mis à jour le 3 juillet 2023 à 18:35

Quarante-six corps enterrés dans une fosse commune : 10 hommes, 13 femmes, 23 enfants. L’attaque survenue dans le camp de déplacés de Lala dans la nuit du 11 au 12 juin, dont les analystes du Baromètre sécuritaire du Kivu (KST) se sont fait l’écho, est la plus meurtrière perpétrée dans la province d’Ituri depuis plus d’un an. Pour les rescapés du camp de Lala, dans le territoire de Djugu, l’identité des coupables ne fait aucun doute : ce sont des miliciens de la Coopérative pour le développement du Congo (Codeco), l’un des groupes armés les plus violents de la région avec les Forces démocratiques alliées (ADF).À LIREEn RDC, l’Ituri s’enfonce dans la violence
Dès le 13 juin, Denis Mukwege, médecin et prix Nobel de la paix en 2018 a dit son indignation sur Twitter : « Des femmes et des enfants sont victimes d’atrocités dans l’indifférence de nos autorités et de la communauté internationale », a-t-il regretté. Le Conseil de sécurité de l’ONU a quant à lui « condamné avec la plus grande fermeté » l’attaque, appelant les autorités congolaises à « enquêter rapidement » et à « mener les coupables devant la justice ». Les membres du Conseil ont également « exhorté tous les groupes armés congolais à participer sans conditions au processus de Nairobi » pour ramener la paix dans l’est de la RDC.
« Pas d’accalmie durable »
Mais la Codeco, comme le M23, ont été exclus des discussions au cours du processus de Nairobi, accusés par l’exécutif congolais de ne pas avoir préalablement démobilisé leurs miliciens. Un accord « pour la paix et la sécurité » a certes été signé, le 1er juin dernier, à Aru, en Ituri, avec trois autres groupes armés locaux : la Force patriotique et intégrationniste du Congo (FPIC), la Force de résistance et patriotique de l’Ituri (FRPI) et le Mouvement d’autodéfense populaire de l’Ituri (Mapi), l’idée étant d’obtenir un arrêt des hostilités entre les signataires. Mais quelques jours plus tard, l’accord était déjà caduc. « En Ituri, il n’y a pas eu d’initiative de dialogue qui ait permis une réelle accalmie durable », confirme Pierre Boisselet, coordonateur pour Ebuteli et chercheur au KST.À LIREComment l’État islamique a permis la montée en puissance des ADF
Derrière les attaques répétées attribuées à la Codeco, un conflit aux racines communautaires vieux de vingt-cinq ans. En témoignent sur les réseaux sociaux les publications de Gerson Basa, qui se présente comme le porte-parole de l’une des factions du groupe : ses tweets opposent presque systématiquement Lendus et Hemas, deux ethnies vivant dans la région, à l’ouest du lac Albert, près de la frontière avec l’Ouganda.
Des rivalités exacerbées par la colonisation
Il y a plusieurs décennies, le conflit a été exacerbé par l’administration coloniale belge. Un rapport du Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP) publié en 2021 rappelle que la différenciation opérée par les Européens en faveur des Hemas a été « institutionnalisée » sous Léopold II. S’en est suivie une rivalité ethnique qui a perduré jusqu’à la deuxième guerre du Congo, laquelle s’est déroulée entre 1998 et 2002. À l’époque, les affrontements entre milices causent la mort de plus de 55 000 victimes et le déplacement de plusieurs centaines de milliers de personnes, d’après les chiffres avancés par le GRIP.
Après des années de relative accalmie, les attaques reprennent en décembre 2017, d’abord dans le territoire de Djugu puis dans l’ensemble de l’Ituri. Depuis, le Baromètre sécuritaire du Kivu a relevé plus de 1 000 « incidents » – meurtres, enlèvements, combats, destruction de propriétés – impliquant la Codeco. C’est en 2018 que les miliciens commencent à se désigner sous le nom de Codeco, en référence à une coopérative agricole lendu implantée dans la région dans les années 1970.À LIREM23 en RDC : les experts de l’ONU disent détenir de nouvelles preuves contre Kigali
Le Groupe d’étude sur le Congo (GEC) s’intéresse à cette milice et souligne, dès 2018, son biais mystico-religieux. « Il ne faut pas forcément opposer l’aspect religieux et l’aspect ethnique, analyse Pierre Boisselet. La Codeco dispose de ses propres cultes, de ses églises et de ses pasteurs, mais tout cela cohabite avec la dimension ethnique. » Elle cible prioritairement les populations hemas, ainsi que des membres des forces armées congolaises (FARDC). La Codeco revendique aussi des attaques de civils « en représailles » contre les agissements d’un groupe armé à majorité hema, les Zaïre – FPAC (Front populaire d’autodéfense en Ituri).
Un chef « neutralisé »
Le dernier rapport du groupe d’experts de l’ONU, daté de juin, affirme que plus de 300 civils ont été tués au cours des attaques menées par ces deux milices entre la mi-novembre 2022 et le début d’avril 2023. « Cette montée de la violence reflète les tensions croissantes entre les populations lendu et hema », analysent les auteurs.
Face à la résurgence des violences en Ituri, province par ailleurs placée sous état de siège depuis mai 2021, l’exécutif a choisi la force. Une opération militaire a été lancée, qui a abouti en mars 2020 à « la neutralisation » du chef de la milice, Justin Ngudjolo. Cette mort provoque alors des désaccords en interne, et le mouvement se scinde en plusieurs branches.À LIREEn RDC, des miliciens pourraient-ils devenir des réservistes de l’armée ?
La plus active est aujourd’hui l’Union des révolutionnaires pour la défense du peuple congolais, la Codeco-URDPC. D’après le KST, elle est responsable de la mort de près d’un millier de personnes depuis 2017. Elle est dirigée notamment par Songa Mbele, Désiré Londroma et Bassa Zukpa depuis le quartier général du groupe, lequel serait situé à Ndalo, dans le territoire de Djugu. D’après le groupe d’experts de l’ONU, la Codeco-URDPC compte entre 10 000 et 40 000 combattants, et se finance en partie grâce aux sites miniers dont elle a pris le contrôle. Leur exploitation permet aux miliciens de s’approvisionner en armes, tout comme l’impôt imposé aux civils lendus.
Les tentatives de l’exécutif pour désarmer la Codeco se sont jusqu’à présent soldées par un échec. Kinshasa garde d’ailleurs un souvenir amer de la tentative de médiation lancée en février 2022 : Félix Tshisekedi avait dépêché sur place huit négociateurs – dont deux anciens chefs de guerre de l’Est, Thomas Lubanga et Germain Katanga – qui ont été pris pris en otage durant plusieurs semaines par la Codeco