ÉCONOMIE
« Contrat du siècle » en RDC : Jules Alingete vent debout contre « l’attitude » chinoise dans les négociations avec Kinshasa
L’inspecteur général des Finances est en première ligne pour dénoncer la « résistance » des entreprises chinoises dans le cadre du « contrat du siècle » et fait pression pour que les termes en soient renégociés. Jeune Afrique fait le point sur les coulisses de ces discussions « difficiles ».
25 août 2023 à 15:17
Par Stanis Bujakera Tshiamala – à Kinshasa
Mis à jour le 25 août 2023 à 15:21

Le 10 juillet, Jules Alingete sort révolté du palais de la Nation. « L’attitude des entreprises chinoises s’apparente à une forme de néo-colonialisme que la RDC d’aujourd’hui n’est plus disposée à accepter », vocifère le puissant patron de l’Inspection générale des finances (IGF). Les raisons de sa colère ? Les négociations entamées depuis fin juin entre la partie chinoise et la RDC pour le rééquilibrage du « contrat du siècle » piétinent. En cause, la résistance de la partie chinoise, alors que dans un récent communiqué, Florimond Muteba, patron de l’ONG Odep, spécialisée en finances publiques, pointait déjà « l’opacité » qui selon lui caractérise ces discussions.À LIREContrat du siècle RDC-Chine : les dessous d’un accord de « colonisation économique »
Ce « contrat du siècle » n’en finit pas de défrayer la chronique en République démocratique du Congo. Fin février, le rapport de l’Inspection générale des finances dénonçait le caractère déséquilibré de ce contrat chinois signé sous Joseph Kabila en 2008. Pour rappel, à l’époque, la Chine, via le Groupement d’entreprises chinoises (GEC), a signé avec la Gécamines une convention donnant notamment naissance à la Sicomines (Société sino-congolaise des mines). La partie chinoise pouvait alors exploiter du cobalt et du cuivre en échange d’investissements dans les infrastructures. Pékin s’était notamment engagé à construire 3 500 km de routes, autant de kilomètres de chemins de fer, 31 hôpitaux de 150 lits et 145 centres de santé. Le tout pour une valeur estimée à 6,5 milliards de dollars (6 milliards d’euros) avant d’être finalement revue à la baisse à 3 milliards.
Les infrastructures se font attendre
Mais, 15 ans plus tard, la RDC attend toujours ces infrastructures. « La RDC a amené dans la joint venture Sicomines des mines évaluées à plus de 50 milliards de dollars, avec des exonérations totales de taxes, contre des infrastructures qui ne sont pas encore palpables à ce jour », ne cesse de se scandaliser Jules Alingete au cours des réunions avec les autorités. Selon l’IGF, les entreprises chinoises ont déjà tiré plus de 10 milliards de dollars de bénéfices dans le cadre de ce partenariat alors que la RDC n’a bénéficié que d’infrastructures équivalant à 822 millions de dollars, qui seraient « du reste surfacturées ». Pour l’IGF, la composition du capital de la Sicomines est également déséquilibré, avec 68 % appartenant au GEC.
De son côté, la partie chinoise estime que le rapport de l’IGF est « plein de préjugés » et affirme que ses conclusions ne sont pas conformes à la réalité.À LIREComment Tshisekedi veut renégocier, en Chine, le « contrat du siècle »
En mai dernier, au menu de la visite de Félix Tshisekedi en Chine, la renégociation de ce contrat était d’ailleurs le plat de résistance. Avant son départ, le président congolais avait enjoint aux ministres des Infrastructures, du Budget, des Finances, des Mines ainsi qu’à son cabinet, tous membres du comité stratégique constitué à cet effet, de convenir et d’organiser avec la partie chinoise l’agenda des discussions et de la signature finale du futur avenant.
Le comité stratégique est également appuyé dans ces tâches par l’expertise de la Gécamines, de l’Inspection générale des finances (IGF), ainsi que de l’agence de pilotage de coordination et de suivi de convention de collaboration signée entre la RDC et les partenaires privés (APCSC) et de l’Initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE).
Bras de fer compliqué
Les discussions entre la Chine et la RDC ont donc, finalement, commencé fin juin. La RDC pousse pour obtenir une réparation financière pour les « dégâts subis », un changement dans la répartition du capital et des gains dans la Sicomines, mais également pour une répartition équilibrée des responsabilités dans la gestion du projet, ainsi qu’une augmentation du montant des investissements chinois dans les infrastructures – qui passerait, de nouveau, de 3 à 6 milliards de dollars. Le tout assorti d’une accélération de leur réalisation. Mais problème, la partie congolaise rencontre, selon nos informations, une « résistance » de la partie chinoise.
Face à cette résistance, Jules Alingete ne compte pas baisser les bras. Il faut dire que l’inspecteur général des Finances est un habitué des bras de fer compliqués, à l’image de ceux qu’il a menés contre Matata Ponyo dans l’affaire Bukanga-Konzo, ou encore contre l’actuel ministre de l’Enseignement primaire, Tony Mwaba, dans le cadre de soupçons de détournement de fonds. C’est ainsi que Jules Alingete a multiplié son activisme auprès des ministres concernés dans ces négociations pour « ne pas fléchir face aux Chinois », raconte un participant.À LIRERDC : Jules Alingete et sa « patrouille » imperturbables face à la fronde
Tout récemment, sur son compte twitter, Jules Alingete considérait l’élite intellectuelle congolaise comme un véritable obstacle au développement de ce pays, « au regard de plusieurs contrats léonins signés par les différents responsables étatiques avec des partenaires économiques », tout en s’engageant à continuer de mener un combat aussi acharné contre « les abus » dans les diverses exonérations dont bénéficient plusieurs opérateurs économiques.
L’IGF réclame désormais de la Chine 17 milliards de dollars d’investissements supplémentaires pour rééquilibrer l’accord. « Les discussions sont difficiles parce que, [Jules Alingete] veut nous imposer des choses, estime un responsable de la Sicomines. Actuellement, nous ne travaillons pas bien, parce que la pression est forte contre la Sicomines, qui risque d’ailleurs de mettre beaucoup de gens en congé technique. »