En RDC, vers un rapprochement entre Martin Fayulu et Denis Mukwege
Après le ralliement de Matata Ponyo Mapon et Seth Kikuni à Moïse Katumbi, les discussions entre le candidat malheureux à la présidentielle de 2018 et le Prix Nobel de la paix pourraient aboutir à la formation d’un deuxième bloc de l’opposition.
Publié le 29 novembre 2023Lecture : 4 minutes.
Le 23 novembre dernier, un frémissement parcourt l’assistance lorsque Denis Mukwege et Martin Fayulu, accompagnés de Théodore Ngoy Ilunga, se présentent devant la presse à Kinshasa. Les trois candidats à l’élection présidentielle du 20 décembre vont-ils annoncer la formation d’une coalition commune ? Il n’en est finalement rien. Les trois hommes déclarent néanmoins qu’ils déposeront plainte le lendemain devant la Cour de cassation contre Denis Kadima, le président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), et Peter Kazadi, le vice-Premier ministre chargé de l’Intérieur, pour « abstention coupable ».
Trois autres candidats, absents ce jour-là (Jean-Claude Baende, Nkema Liloo et Floribert Anzuluni), sont associés à cette plainte qui dénonce « des irrégularités notoires et intentionnelles relatives notamment à la fiabilité du fichier électoral, à la publication des listes des électeurs et à la cartographie, ainsi qu’à la délivrance des duplicatas ».
Rapprochement derrière Katumbi
Moins explosive qu’attendue par certains observateurs, l’annonce témoigne néanmoins d’un rapprochement entre ces candidats, notamment entre Martin Fayulu et Denis Mukwege, vers lesquels tous les regards sont tournés depuis le ralliement de Matata Ponyo Mapon et Seth Kikuni à un autre candidat de l’opposition, Moïse Katumbi.
En RDC, Katumbi peut-il s’imposer comme le candidat commun de l’opposition ?
Rendu public le 19 novembre, cette alliance avait semblé prendre de court Martin Fayulu et Denis Mukwege. Quelques jours plus tôt, leurs représentants et ceux de Matata, Delly Sesanga et Katumbi s’étaient réunis pendant quatre jours à Pretoria pour définir les contours d’une éventuelle candidature commune.
Les discussions ont abouti à la rédaction de trois documents : une déclaration d’engagement des leaders, un programme commun et un critérium de désignation du candidat commun. Des documents que n’ont pas signé les représentants de Martin Fayulu. Ce dernier s’est notamment vu reprocher certaines de ses dernières déclarations, mais aussi une supposée proximité avec Félix Tshisekedi.
« Personne ne doit dire c’est moi ou rien »
Alors que leurs représentants étaient en Afrique du Sud, les candidats maintenaient le contact en RDC, laissant entrevoir l’émergence de deux blocs. D’un côté, l’ancien Premier ministre Matata Ponyo Mapon et l’ex-gouverneur du Katanga, aux échanges réguliers. De l’autre, le candidat malheureux à la dernière présidentielle et le Nobel de la paix 2018 se retrouvaient à Kinshasa en conciliabule.
Le rapprochement entre Fayulu et Mukwege revêtirait une certaine logique. En 2017, Fayulu avait été l’un des seuls représentants de l’opposition à accepter l’idée d’une transition dirigée par Denis Mukwege si Joseph Kabila, dont le mandat présidentiel était arrivé à son terme fin 2016, devait être contraint de quitter le pouvoir.
Les deux hommes, qui discutaient déjà avant l’annonce de la candidature du médecin, ne se voient pas railler Moïse Katumbi, et ce pour des raisons différentes. Le premier est en froid avec l’homme d’affaires katangais et, en privé, utilise à son égard des mots peu amènes. S’il n’est pas en mauvais termes avec lui, le second estime que Katumbi l’a mis devant le fait accompli en formant une coalition avec Matata Ponyo au lendemain des discussions de Pretoria.
Un troisième candidat pourrait les rejoindre : Floribert Anzuluni, désigné par le parti Alternative citoyenne (AC-Congo RDC) à l’issue d’une primaire en deux tours. L’ancien coordinateur du mouvement citoyen Filimbi avait tenté d’impliquer Denis Mukwege à cette initiative de la société civile pensée depuis plusieurs années.
Floribert Anzuluni, l’ex-activiste congolais qui voulait devenir président
Pas convaincu qu’une candidature commune de l’opposition permettra de l’emporter face à Félix Tshisekedi, Floribert Anzulini, un ancien banquier spécialiste de la gestion des risques pour Ecobank, n’a pas été associé à l’incitative de Pretoria. Il discute néanmoins avec Denis Mukwege et Martin Fayulu depuis plusieurs semaines. C’est avec eux qu’il a le plus d’affinités politiques et ils ont accepté de signer le contrat social élaboré à l’issue de la primaire d’Alternative citoyenne.
Selon nos informations, les discussions entre les trois hommes ont abouti à l’élaboration d’un programme, d’une stratégie électorale commune pour le reste de la campagne mais aussi au déploiement de témoins dans les bureaux de vote le jour J. Une déclaration à ce sujet est attendue dans les prochains jours.
« Front anti-prédation »
« L’ambition est de créer autour d’eux un front anti-prédation », explique un membre de l’équipe de campagne d’un des trois candidats. Restera ensuite à définir les conditions du désistement de l’un envers l’autre. Qui acceptera de se retirer ? D’abord convaincu de son destin, Denis Mukwege semble avoir assoupli sa position. « Mettons nos efforts ensemble. Que tout le monde enterre la hache de guerre. Personne ne doit dire c’est moi ou rien », déclarait-il à Jeune Afrique fin octobre.
Quant à Martin Fayulu, il a longtemps donné l’impression de vouloir faire cavalier seul, au sein d’une opposition divisée. Impression confirmée lors du conciliabule organisé à Pretoria.
Présidentielle en RDC : Denis Mukwege peut-il aller jusqu’au bout ?
« Mukwege, comme Fayulu, ont été piégés par Katumbi en Afrique du Sud. Ils n’ont aujourd’hui pas d’autre choix que de faire alliance », assure un acteur des négociations qui précise : « On sera fixé dans les prochains jours, probablement début décembre. »
Les trois candidats pourraient se retrouver à Kinshasa, marquant une brève pause dans leur campagne. Très discret depuis le 19 novembre, Denis Mukwege a véritablement lancé la sienne le 26 novembre à Bukavu, sa ville natale située dans l’est du pays. De son côté, Martin Fayulu enchaîne les meetings à travers le pays. Après Beni, il était attendu ce 29 novembre à Butembo dans le Nord-Kivu et Bunia, en Ituri. Enfin, Floribert Anzuluni était à Uvira (Sud-Kivu) le 27 novembre pour présenter son projet de société. Il doit désormais tenir meeting à Goma.