Présidentielle en RDC : cinq questions pour comprendre un processus électoral périlleux

Difficultés de financement, déploiement des machines à voter, contraintes sécuritaires… À quinze jours de l’échéance, « Jeune Afrique » fait le point sur les embûches qui se dressent encore sur le chemin des élections.

Pendant la campagne présidentielle, à Goma, en RD Congo, le 30 novembre 2023. © Alexis HUGUET/AFP
Pendant la campagne présidentielle, à Goma, en RD Congo, le 30 novembre 2023. © Alexis HUGUET/AFP
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Publié le 5 décembre 2023Lecture : 8 minutes.

LE DÉCRYPTAGE DE JA – Les élections générales se tiendront-elles vraiment le 20 décembre ? À Kinshasa, comme dans l’ensemble de la RDC, beaucoup y croiront le jour J, un mercredi, et pas avant. Officiellement, les autorités, tout comme la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), ne cessent pourtant de le clamer haut et fort.

« À chaque étape, on a dit qu’on n’y arriverait pas et on a réussi. Nous organiserons les élections le 20 décembre », réagissait un conseiller de la Ceni rencontré par JA à la mi-octobre. « Le gouvernement n’a encore reçu aucune information indiquant qu’il n’y aurait pas d’élections », a de son côté affirmé Erik Nyindu, le porte-parole de Félix Tshisekedi, sur France 24, le 4 décembre.A lire : 

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Pourtant, à mots couverts, des craintes subsistent. Dans les cercles du pouvoir, on évoque depuis plusieurs semaines un possible « léger report technique ». Certains acteurs du processus électoral reconnaissent de leur côté que, s’il a bien lieu le 20 décembre, le scrutin sera imparfait. À un peu plus de deux semaines de l’échéance, le travail qui attend la Ceni reste en effet immense.

1  – Pourquoi la Ceni est-elle sous pression ?

En mars dernier, Denis Kadima confiait à Jeune Afrique avoir « hâte d’en finir » avec l’organisation de ces élections. Depuis sa désignation, en octobre 2021, le patron de la Ceni est sous pression : difficultés à maintenir le calendrier, polémiques portant sur son intégrité et celle de son institution… La nomination de cet expert électoral, originaire, comme Félix Tshisekedi, de la province du Kasaï-Oriental, avait été critiquée par les leaders catholiques (réunis au sein de la Conférence épiscopale nationale du Congo, la Cenco) et protestants (rassemblés, eux, au sein de l’Église du Christ au Congo, l’ECC), qui l’accusaient d’être trop proche du président, ce dont l’intéressé s’est toujours défendu.

Nouvelle polémique, quelques mois plus tard, lors de la désignation de Mabiku Totokani Thotho au poste de secrétaire exécutif – là encore en raison de sa proximité avec le pouvoir. Cet ingénieur polytechnicien avait été nommé conseiller de Félix Tshisekedi à l’époque où ce dernier présidait l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS). Un poste qu’il assure n’avoir jamais occupé.A lire : 

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Comme si les critiques portant sur la composition de la Ceni ne suffisaient pas, les relations entre Kadima et Totokani se sont rapidement dégradées, notamment à propos du partage de leurs prérogatives respectives. En septembre dernier, une dizaine de conseillers de la Ceni, dont une majorité de proches de Denis Kadima, ont étrangement été convoqués par l’Agence nationale de renseignement (ANR). Certains d’entre eux sont membres de la cellule de passation des marchés créée par le président de la Ceni, au grand dam de Mabiku Totokani Thotho.

2 – Pourquoi certains électeurs ne voteront-ils pas ?

C’était devenu un secret de polichinelle. Félix Tshisekedi a fini par confirmer, le 16 novembre, que les électeurs de Masisi et de Rutshuru, deux des six territoires de la province du Nord-Kivu, où se déroulent actuellement des affrontements entre la rébellion du M23 et l’armée congolaise, ne pourraient pas voter le 20 décembre.

Les opérations d’enrôlement n’ont pas pu y avoir lieu, et la Ceni n’a pas été en mesure d’y déployer son personnel. Avec 3 026 907 votants, le Nord-Kivu est pourtant la deuxième province du pays par le nombre d’électeurs. Pour ne pas geler ses opérations, la Ceni avait déjà décidé de maintenir, pour ces deux territoires, le même nombre de sièges à l’Assemblée nationale que lors du précédent cycle électoral, huit pour le Masisi et sept pour le Rutshuru.A lire : 

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L’amorce, le 2 décembre, du retrait des troupes de la force régionale de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC), avec le départ des premiers contingents de l’armée kényane, ajoute à l’incertitude. Les combats entre les rebelles et l’armée se poursuivent, et la force régionale de la SADC, censée prendre le relais de celle de l’EAC, n’a pas encore défini les modalités de son déploiement. À la présidence congolaise, plusieurs sources maintiennent que ces contingents pourraient arriver dès le 10 décembre.

En proie à une importante vague de violences communautaires, le Kwamouth, dans la province du Maï-Ndombe, se trouve dans la même situation. Les électeurs n’ont pas pu y être enrôlés en raison des affrontements et du nombre important de déplacés.

3 – Cartes d’électeurs, machines à voter… Pourquoi la logistique est-elle si complexe ?

Les élections congolaises sont souvent celles de tous les records. Selon les chiffres officiels de la Ceni, 43 941 891 électeurs sont attendus dans plus de 75 000 bureaux de vote, répartis sur tout le territoire. Mais un tel déploiement est loin d’être aisé sur le plan logistique.

La Ceni se heurte en effet à plusieurs obstacles. Pour ce scrutin, la commission électorale a deux missions : faire un inventaire des machines à voter utilisées en 2018 et réutilisables. Selon plusieurs estimations, elles sont au nombre de 55 000, moyennant, pour certaines, quelques opérations de remise à jour.A lire : 

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Pour compléter le dispositif, la Ceni a commandé 26 000 machines supplémentaires à la société coréenne Miru Systems, déjà fournisseuse en 2018. Pour ce cycle électoral, celle-ci a également fourni les kits d’enrôlement, remportant un appel d’offres d’un montant de 92,7 millions de dollars. À la mi-novembre, Denis Kadima avait assuré que 7 000 machines à voter étaient arrivées en RDC et que 19 000 dispositifs étaient encore attendus.

« Miru n’envoie les machines qu’une fois que la facture est payée, donc elles arrivent au compte-gouttes parce que le paiement tarde », assure une source diplomatique. Par ailleurs, deux incendies, l’un à Bukavu (Sud-Kivu), l’autre à Bolobo (Maï-Ndombe), ont causé la perte de plus de 1 000 machines. Selon un haut cadre de la Ceni, un dernier lot est attendu, le 6 décembre, à Kinshasa.

Ces dispositifs de vote ainsi que les bulletins, qui sont aussi attendus, doivent être déployés dans les 26 provinces du pays. Si la Ceni assure que ces opérations avancent, la logistique n’est pas simple, notamment en raison des difficultés du secteur aérien congolais. Le Pnud et la Monusco fournissent de l’aide pour déployer le matériel, mais l’acheminement a longtemps patiné.

La mission onusienne, qui prépare son départ de RDC, a accepté d’aider dans les trois provinces où elle est encore présente : l’Ituri, le Sud-Kivu et le Nord-Kivu. Mais elle n’a pas, pour l’instant, récupéré les machines à voter qu’elle doit distribuer, assure une source onusienne. « Ça avance. Les délais sont très courts cependant », explique un cadre de la Ceni.A lire : 

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Parmi les autres difficultés auxquelles la Ceni est confrontée figure la question des duplicatas des cartes d’électeurs. L’impression des informations figurant sur ces dernières s’est, dans de nombreux cas, estompée au point de rendre certaines cartes illisibles. Si elle n’a pas été en mesure d’évaluer précisément l’étendue du problème, la Ceni a ouvert, en novembre, des opérations de duplicata. Des craintes subsistent toutefois quant à la mobilisation des électeurs et aux conséquences que cela pourrait avoir sur le taux de participation.

4 – Où trouver l’argent pour financer les élections ?

Depuis l’entrée en fonction de Denis Kadima, le financement du processus électoral est une source de tension majeure. Le patron de la Ceni a plusieurs fois fait part de son inquiétude s’agissant des décaissements, tardifs selon lui, des fonds destinés à financer les opérations électorales. Ces alertes ont irrité le ministre des Finances, Nicolas Kazadi, avec qui le président de la Ceni entretient des relations compliquées. « Ni la Ceni ni le ministère des Finances ne veulent prendre la responsabilité d’un éventuel glissement [du calendrier] », assure un diplomate chargé du suivi des opérations électorales.A lire : 

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Le 13 novembre, lors du cadre de concertation organisé entre la Ceni et les candidats à la présidentielle, Kadima a affirmé que le gouvernement devait encore verser près de 300 millions de dollars sur le budget prévu pour le processus. Le 29 novembre, Nicolas Kazadi a répliqué que 130 millions venaient d’être décaissés en faveur de la Ceni. « Ceux qui espèrent que les financements feront défaut pour qu’il y ait un retard n’auront que leurs yeux pour pleurer », a-t-il déclaré. « Ce qui pouvait être anticipé, pour le déploiement du matériel, doit désormais se faire par avion exclusivement, ce qui est forcément plus coûteux », affirme un haut cadre de la Ceni.

Selon nos informations, pour remédier à ces difficultés, la Ceni a reçu, à plusieurs reprises, des fonds d’une banque commerciale congolaise, la Sofibanque. Toujours selon nos sources, il s’agit de « facilités temporaires exceptionnelles », qui devront être remboursées. Contacté, le ministère des Finances n’a pas répondu à nos sollicitations.

5 – Qui va superviser ces élections ?

Malgré d’ultimes tractations, et en dépit des réticences de certains pays membres, l’Union européenne (UE) a annoncé, le 29 novembre, le retrait de sa mission d’observation électorale en RDC, en évoquant des « contraintes techniques » qui l’empêchent de faire son travail correctement. Cette mesure répondait au blocage d’une partie du matériel des experts européens, notamment de leurs téléphones satellitaires, par les services de sécurité congolais. Selon nos informations, la mission d’observation avait pourtant donné à ces derniers, dès le 4 octobre, la liste du matériel prévu.A lire : 

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En dépit des tensions que cette annonce a suscitées, Bruxelles a tranché, le 5 décembre, en faveur de la mise en place d’un dispositif restreint. Selon nos informations, le Service européen pour l’action extérieure (SEAE) de l’UE a mis au point les contours d’une « mission d’experts », qui analysera le processus électoral. Sise à Kinshasa, elle sera composée de huit spécialistes (en technologies électorales, en réseaux sociaux…), dont un chef de mission. Elle devrait rester sur place jusqu’au 9 janvier 2024. 

Plusieurs autres missions d’observation sont prévues. Le Carter Center, désormais seule mission internationale comprenant des experts travaillant à « long terme », déploie douze équipes, principalement dans les grandes villes du pays. Parmi les autres initiatives figure aussi la mission d’observation Regards Citoyens, issue de la société civile, qui enverra plus de 22 000 témoins sur le terrain.

Mais la mission qui sera probablement la plus scrutée est celle de la Cenco et de l’ECC. Les deux principales organisations religieuses du pays avaient émis des critiques après la nomination de Denis Kadima à la tête de la Ceni. Leurs relations avec ce dernier demeurent tendues. Le 28 novembre, la commission électorale leur a demandé de se désolidariser des propos du cardinal Fridolin Ambongo. Quelques jours plus tôt, ce dernier avait à nouveau évoqué l’hypothèse d’un glissement du calendrier électoral.

By Habari

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