Félix Tshisekedi tout-puissant ? Cartographie des nouveaux rapports de force à l’Assemblée
Confortablement réélu à la tête de la RDC, le chef de l’État bénéficie également d’une majorité écrasante au sein de la nouvelle Assemblée nationale. La configuration actualisée des forces en présence, en infographies.



Publié le 17 janvier 2024Lecture : 5 minutes.
C’est une victoire écrasante que Félix Tshisekedi a remportée lors de la présidentielle du 20 décembre dernier, avec un score de plus de 73,47 %, selon les résultats validés par la Cour constitutionnelle. Moïse Katumbi, second, a pour sa part recueilli 18 % des suffrages, tandis que Martin Fayulu a obtenu 4,92 % des voix.
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L’opposition n’a pas manqué de remettre en question les nombreux dysfonctionnements observés lors du scrutin, évoquant même un « chaos électoral ». Face aux très nombreux retards dans la mise à disposition du matériel électoral, la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) a même décidé de prolonger les opérations de vote d’une journée. En réalité, dans certains bureaux de vote, les opérations se sont poursuivies jusqu’au 27 décembre… De Moïse Katumbi à Martin Fayulu, en passant par Denis Mukwege, une grande partie des candidats de l’opposition ont réclamé que le scrutin soit annulé et qu’une nouvelle élection soit organisée.
Il n’en reste pas moins que le processus électoral est bel et bien clos. Et Félix Tshisekedi, qui accueillera plusieurs chefs d’État du continent pour son investiture, le 20 janvier prochain, entame son second mandat dans une position autrement plus solide qu’en 2019.

L’analyse fine de la cartographie de ces résultats, que nous vous proposons en infographies, permet cependant de nuancer ce « raz-de-marée tshisekediste ». Sur la présidentielle, tout d’abord, Félix Tshisekedi a certes remporté l’élection au niveau national, mais il n’est pas parvenu à s’imposer en tête dans l’ensemble des provinces.

Moïse Katumbi lui vole en effet la première place dans cinq des 26 provinces du pays, toutes situées dans le sud-est du pays. L’ancien gouverneur du Katanga fait son meilleur score dans le Haut-Lomami, où il a recueilli un peu plus de 88 % des suffrages, et presque autant dans la province du Lualaba (86,6 %). Pour le président nouvellement réélu, c’est un signal clair : l’un de ses chantiers de début de mandat sera de rétablir la confiance avec ces provinces « perdues » lors du scrutin présidentiel.
Martin Fayulu, arrivé troisième au niveau national, est tout de même parvenu à se placer en tête dans la province du Kwilu. C’est dans la capitale de celle-ci, Bandundu, que l’opposant avait lancé sa campagne, en novembre 2023.
Union sacrée 2.0
À l’Assemblée nationale, le renversement est complet. Lorsqu’il avait été investi pour son premier mandat, le 24 janvier 2019, Félix Tshisekedi avait pris les rênes du pays alors qu’il ne disposait que d’une petite cinquantaine de députés au sein d’une Assemblée nationale alors très largement dominée par les élus sous l’étiquette du Front commun pour le Congo (FCC) de Joseph Kabila. Face aux 47 députés de Cap pour le changement (Cach, l’alliance formée par les formations de Félix Tshisekedi et de Vital Kamerhe), le FCC disposait alors de 341 siège, soit la majorité absolue… Le « mariage de raison » qui s’était imposé entre le président alors fraîchement élu et son prédécesseur n’avait cependant pas tardé à s’effriter, jusqu’à la rupture de fin 2020, avec la création de l’Union sacrée, qui avait vu une partie des élus du FCC se rallier à la majorité présidentielle. La configuration est aujourd’hui radicalement inverse : les partis se réclamant du président réélu disposent en effet d’une écrasante majorité à l’Assemblée nationale.

Selon les résultats provisoires proclamés par la Ceni le 15 janvier – qui doivent encore être validés par la Cour constitutionnelle –, l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS, le parti présidentiel) dispose en effet de près de 70 sièges à elle seule. Surtout, en totalisant les sièges de la multitude de partis se réclamant de la majorité ou ayant soutenu la candidature de Tshisekedi à la présidentielle, le chef de l’État peut compter, sur le papier, sur plus des deux tiers des députés nationaux.
Deux grands ensembles se dégagent au sein de cette « Union sacrée 2.0 » : d’une part, l’UDPS et sa « mosaïque », de l’autre les partis membres de l’Union sacrée mais non directement affilés au parti présidentiel – les formations de Vital Kamerhe, Jean-Pierre Bemba et Bahati Lukwebo, notamment.
Pourquoi cette myriade de partis ? « L’UDPS a créé de toutes pièces un grand nombre de petites formations pour contourner les restrictions imposées par la règle du scrutin proportionnel ‘au plus fort reste’, c’est ainsi que s’est constituée la ‘mosaïque UDPS’ », explique Trésor Kibangula, analyste politique pour Ebuteli.
Selon ce principe, les sièges non pourvus au sein de l’Assemblée nationale sont en effet attribués aux listes qui ont le plus grand nombre de voix inutilisées lors du premier calcul. En multipliant les listes « indépendantes », il est ainsi possible de maximiser la possibilité de profiter de ces sièges non attribués. « L’UDPS n’est pas la première formation à utiliser cette technique, le Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD) de Joseph Kabila avait fait la même chose en son temps », précise Trésor Kibangula.A lire :
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Face à cette écrasante majorité, l’opposition aura fort à faire pour faire entendre sa voix. Ensemble, la formation de Moïse Katumbi, ne dispose en effet que de moins de 4 % des sièges. Martin Fayulu, qui s’est présenté à la présidentielle mais a paradoxalement boycotté les législatives, semble plus que jamais isolé. Quant au Front commun pour le Congo (FCC, de Joseph Kabila), qui a lui aussi décidé de ne pas présenter de candidats lors de ce scrutin, il a complètement disparu de l’Assemblée nationale… mais pas ses députés. Nombre de députés nationaux qui avaient été élus lors de la précédente mandature ont en effet été réélus, mais sous l’étiquette de l’Union sacrée, cette fois, se rangeant derrière Tshisekedi.
L’histoire politique récente de la RDC engage cependant à la plus grande prudence. Oui, Félix Tshisekedi démarre son second mandat avec, en main, l’essentiel des pouvoirs exécutifs et législatifs. Mais il est loin d’être à l’abri d’un brusque retournement de situation, comme l’ont spectaculairement prouvé, lors de la constitution de l’Union sacrée, les revirements aussi soudains qu’intéressés des députés supposément fidèles à Joseph Kabila. La composition du futur gouvernement, et la manière dont Félix Tshisekedi va répartir les portefeuilles ministériels, aura indéniablement un impact sur la (future) cohésion de sa majorité.