Comment définir le lumumbisme

Ces éléments subjectifs  sont  insuffisants pour définir le lumumbisme comme une idéologie politique. En effet, en tant qu’idéologie politique,  le lumumbisme  doit être une Weltanschauung ou une vision objective du monde.  Une idéologie politique est un ensemble d’idées ou de théories qui sont utilisées pour expliquer comment la société devrait être organisée et comment les individus devraient se comporter au sein de cette société. Il peut également être utilisé pour mobiliser des individus et des groupes autour d’un objectif ou d’une vision particulière, car des individus qui partagent la même vision peuvent se réunir et travailler pour une cause commune.

Pour faciliter la différenciation des idéologies politiques, celles-ci sont, depuis la Révolution française, souvent présentées sur une ligne horizontale. À gauche, le progressisme, et à droite, le conservatisme/la réaction.

Les idéologies politiques de gauche visent à l’obtention de changements plus ou moins radicaux de l’ordre établi et à corriger les inégalités économiques et sociales qui ne profitent qu’à une minorité. C’est cette volonté de niveler les inégalités qui est qualifiée de progressisme.

Les idéologies de droite, quant à elles, visent à la conservation ou au retour de l’ordre ancien (réaction) avec ses imperfections ; et ce, même si parfois des changements cosmétiques sont acceptés. Les valeurs religieuses sont alors centrales pour faire en sorte que l’homme supporte son (triste) sort.

Pour comprendre l’histoire de la lutte idéologique au Congo depuis six décennies, il faut remonter aux élections législatives de mai 1960 quand cette lutte avait mis aux prises d’une part -une coalition des progressistes (plus tard désignés « lumumbistes »-  préoccupés principalement par la sauvegarde de l’intégrité du pays et la vraie indépendance du pays et, d’autre part,  la coalition des congolais affiliés aux forces néocoloniales  pour qui l’avenir du pays ne dépendrait que de la volonté des puissances occidentales.

En effet durant la précampagne électorale  sous l’initiative de Joseph Iléo, l’administration coloniale appuya la formation d’un « front anti-Lumumba » pour barrer la route à Patrice Lumumba, dont les vues étaient jugées progressistes vis-à-vis des milieux colonialistes. On a même essayé de l’exclure des élections. Les Américains ont dû intervenir vigoureusement pour demander aux Belges de faire cesser ces tentatives d’exclusion de Lumumba, qui risquaient de plonger le pays dans l’insurrection.

La victoire du MNC-Lumumba aux élections législatives du 11 au 25 mai 1960 est indiscutable mais ne changera pas la détermination de la Belgique de ne pas l’associer  à la gouvernance du Congo post colonial. Il réunit 41 députés à la Chambre, mais ne constitue pas une majorité de 137 sièges.

Le 9 juin 1960, sous l’instigation des Belges, la multitude des partis soi-disant  « modérés » , mais en réalité conservateur vis-à-vis de l’ordre colonial, signent un protocole pour la création d’un « club parlementaire » afin de concrétiser un « cartel d’union nationale » qui sera présidé par Joseph Kasa-Vubu, et dont les principaux membres seront Iléo, Kalonji, Bolikango et Adoula, ainsi que tous les politiciens pro-occidentaux ou conservateurs. Les membres du cartel se donnent pour objectif de former le gouvernement en excluant tout contact avec Patrice Lumumba (cf. J.G. Libois et J. Heinen, 1989).

En réaction à la création de ce cartel des partis conservateurs (pro-occidentaux), le lendemain, trois  partis qui s’identifient comme nationalistes et progressistes, bien positionnés aux élections par rapport aux partis pro-occidentaux, forment avec le MNC-Lumumba une « Alliance des nationalistes » qui sera désignée plus tard par le bloc adverse comme « lumumbiste ». Le document de l’alliance était signé par : A. Gizenga (pour le PSA) ; P. Lumumba (pour le MNC) ; R. Mwamba (pour la Balubakat) et A. Kashamura (pour le CEREA). Ci-dessous, les quatre critères objectifs de l’alliance des nationalistes considérés comme la base idéologique :

(1) formation d’un gouvernement central anticolonial (antinéocolonial) ; (2) sauvegarder l’unité politique et économique du pays ; (3) combat contre les manœuvres de division et de séparatisme susceptibles de provoquer des troubles sociaux au pays et l’éclatement du Congo ; et (4) défense, au sein des institutions nationales, d’une politique commune, tant sur le plan de la politique générale que sur le plan économique et social. (cf. W. J. Ganshof, 1963, p. 224)

Loin d’être un regroupement autour de la personne de Patrice Lumumba ou de sa parentèle l’alliance des nationalistes sera plutôt une union autour des idéaux progressistes. D’ailleurs Patrice Lumumba, lui-même ne disait-il pas ce qui suit ?

 Je n’ai ni père, ni mère. Je n’ai pas de tribu et je n’ai pas de religion. Je suis une idée. Le Congo m’a donné la vie et a fait de moi ce que je suis. C’est mon tour de faire du Congo un endroit où l’on peut vivre mieux.

En parlant du  lumumbisme, il  s’agit  donc  des  convictions pour  une vision du monde, une idéologique consécutives à la création de  l’alliance des nationalistes congolais ; nationalistes qui seront plus tard désignés comme des « lumumbistes ».

C’est en fonction de la conduite de l’individu en concordance avec ces critères objectifs qu’on pourra  considérer celui-ci comme lumumbiste. Ou non.

L’idéologie lumumbiste est donc  un courant de pensée progressiste visant à une gouvernance anti(néo)coloniale et pan africaniste, l’intégration nationale, l’établissement de la justice sociale et la construction d’un Etat  démocratique et développementaliste.

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