RDC : Fifi Masuka, reine du Lualaba et du cumul des mandats
Proche de Félix Tshisekedi et de plusieurs membres de la famille du chef de l’État, Fifi Masuka règne en maître sur cette province du sud du pays, convoitée pour ses richesses minières. Elle représente aujourd’hui la quatrième force politique à l’Assemblée nationale.


Publié le 10 juin 2024Lecture : 7 minutes.
Fifi Masuka Saini n’a pas pu retenir ses larmes. Ce jour d’août 2023, la fondation de la première dame, Denise Nyakeru Tshisekedi, lance la 4e édition de son programme de bourses. Présent aux côtés de son épouse, Félix Tshisekedi prend la parole pour l’occasion et rend un hommage appuyé à Fifi Masuka, qui figure parmi les généreux donateurs de la fondation.
Députée, sénatrice, gouverneure
Pour Fifi Masuka, c’est un peu une consécration. L’aboutissement, à 56 ans, d’un long travail pour se rapprocher du chef de l’État et de sa famille. Et devenir, par la même occasion, la personnalité politique la plus puissante du Lualaba, l’une des quatre provinces qui, avec le Haut-Katanga, le Haut-Lomami et le Tanganyika, forme le grand Katanga.
Gouverneure intérimaire de cette riche province minière depuis trois ans, Fifi Masuka a été confirmée lors des élections des gouverneurs du 29 avril dernier. Scrutin lors duquel elle a aussi été élue sénatrice. Elle cumule désormais ces postes avec ceux de députée nationale et provinciale. Ne pouvant en exercer qu’un, elle devra laisser les trois autres à ses suppléants.
Fifi Masuka a toujours su évoluer au gré du vent et des changements de régime. Née à Lubumbashi en 1967, elle fait ses études dans la « capitale du cuivre ». Diplômée d’une licence de sciences économiques, elle se lance rapidement dans les affaires au début des années 1990. Comme beaucoup, c’est principalement vers les mines qu’elle oriente ses activités. Malgré la crise qui touche le secteur au Katanga à cette période, Fifi Masuka met la main sur un beau pactole.A lire :
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En 1997, Mobutu Sese Seko est renversé par Laurent-Désiré Kabila, aidé par les troupes rwandaises et ougandaises. La RDC plonge dans une guerre qui fera des millions de morts et causera la disparition de Kabila, assassiné par l’un de ses gardes du corps en janvier 2001. La guerre prend fin en décembre 2002, quelques mois après la signature de l’accord de Sun City, en Afrique du Sud. La politique peut reprendre ses droits.
Fifi Masuka se rapproche alors du chef de guerre Jean-Pierre Bemba et de Thomas Luhaka, respectivement président et secrétaire général du Mouvement de libération du Congo (MLC). L’ancien chef de guerre se présente à l’élection présidentielle d’octobre 2006. Il est défait par Joseph Kabila au deuxième tour. Candidate pour le compte du MLC, Fifi Masuka est, elle, élue députée de Lubumbashi.
De Bemba à Kabila
Dans ce sud-est de la RDC, le MLC n’est pas en position de force. Bemba n’a récolté que 6,24 % des suffrages dans le Katanga au deuxième tour du scrutin de 2006. Est-ce pour cette raison que Fifi Masuka prend ses distances ? En 2010, elle fonde son propre parti, le Front des indépendants démocrates-chrétiens (Fidec), et est réélue députée un an plus tard.
Elle se rapproche alors du cœur du pouvoir, les Kabila, se lie d’amitié avec Jaynet, la sœur jumelle du président, puis avec sa femme, Olive Lembe. En 2015, le chef de l’État la nomme commissaire spéciale adjointe dans le Lualaba. La province d’où sont originaires ses parents est alors dirigée par Richard Muyej Mangeze. Ancien ministre des Relations avec le Parlement (2010-2012), puis des Postes et des Nouvelles technologies de communication (2011-2012), et enfin de l’Intérieur (2012-2014), cet homme au physique imposant est un pilier du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD) de Joseph Kabila.A lire :
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Lorsqu’en 2016, Muyej cherche une femme pour occuper le poste de vice-gouverneur, il se tourne inévitablement vers Fifi Masuka, qui poursuit son ascension, mêlant les affaires à la politique.
L’arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi début 2019 ne change pas, dans l’immédiat, l’équilibre de la province. Mais le mariage de raison entre le nouveau chef de l’État et son prédécesseur ne dure pas. Fin 2020, Tshisekedi donne naissance à l’Union sacrée et rompt avec le PPRD de Joseph Kabila.
Revirement à 180 degrés
Si la nouvelle coalition présidentielle parvient à débaucher de nombreux élus kabilistes – les 22 députés provinciaux du Lualaba affichent désormais leur appartenance à l’Union sacrée –, Richard Muyej choisit la fidélité au « Raïs ». Il en paiera rapidement de prix fort. Avec Fifi Masuka, qui de son côté a opéré un revirement politique à 180 degrés, comme poil à gratter.
Entre le gouverneur et son adjointe débute un bras de fer de plus de deux ans, qui aboutira à la démission de Muyej en janvier 2023. En septembre 2021, un rapport d’audit de l’Inspection générale des finances (IGF) accable sa gestion de la province du Lualaba. Muyej y est tenu pour responsable d’un détournement de plus de 366 millions de dollars qui devaient être alloués à un projet agricole.A lire :
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Le gouverneur se trouve en Afrique du Sud pour des soins lorsque le scandale éclate et quand l’Assemblée provinciale vote sa destitution, en septembre 2021. L’intérim est logiquement confié à Fifi Masuka, elle qui est à la pointe des attaques contre Muyej, qui le lui rend bien. Les proches de Muyej dénoncent ainsi la gestion de cette dernière en tant que commissaire spéciale adjointe chargée des finances et du développement.
Déterminé à plaider sa cause au plus haut niveau de l’État, l’ancien ministre revient en RDC en avril 2022 ; pour regagner non pas Kolwezi, mais Kinshasa. Pendant de longs mois, logé à l’hôtel Rotana, dans la commune de la Gombe, il multiplie les demandes d’audience auprès du ministre de l’Intérieur de l’époque et du chef de l’État, avant de jeter l’éponge en janvier 2023.
« Elle nous a fait subir des choses terribles »
Aujourd’hui encore, les proches de Muyej – qui vit en Afrique du Sud – dénoncent une procédure arbitraire et accusent directement Fifi Masuka d’être à l’origine de sa chute. « Elle nous a fait subir des choses terribles. Pendant trente-cinq mois, nous avons été privés de salaire. On espère qu’un jour justice sera faite », raconte, amer, Ady Nawezi, l’un de ses anciens collaborateurs.
Désormais seul maître à bord, « Maman Fifi » a profité de l’augmentation conséquente des recettes minières pour asseoir son pouvoir. Mais elle est maintenant accusée de reproduire le schéma de son prédécesseur : favoriser sa famille et servir les intérêts du pouvoir en place. Sollicitée par Jeune Afrique, elle n’a pas donné suite.A lire :
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Ces dernières années, Thierry et Christian Tshisekedi, deux frères du chef de l’État, se sont intéressés de près au potentiel minier de la province. L’un des fils de Félix Tshisekedi, Anthony, qui siège depuis Lubumbashi au conseil d’administration de la Sicomines, une co-entreprise associant la Gécamines à des partenaires chinois, se rend lui aussi régulièrement à Kolwezi.
« Muyej protégeait les Kabila. Fifi fait la même chose avec la famille Tshisekedi. Elle a su se rendre indispensable », explique une de ses bonnes connaissances, qui précise : « Elle ne veut pas avoir la même image que Muyej, que l’on surnommait ‘Papa solution’ pour sa facilité à donner de l’argent. Fifi est généreuse, mais elle le fait plus discrètement, par le biais de ses fils notamment. »
La politique, les affaires, la famille
Son fils le plus en vue se nomme Jeffrey. Directeur de cabinet du ministre provincial de l’Économie au Lualaba, il est très actif dans le secteur minier et possède Insomnia, l’une des boîtes de nuit les plus prisées de Lubumbashi. Son frère Kevin a, lui, des parts dans un bar lounge, Ze Chill, à Kolwezi, dont le patron est le directeur provincial de la FBN Bank, où son logés les comptes du gouvernorat.
C’est Dany Banza qui a permis le rapprochement entre Fifi Masuka et Félix Tshisekedi. Ambassadeur itinérant du chef de l’État, il a notamment été chargé de plaider la cause de l’Union sacrée dans le grand Katanga, réputé acquis à Joseph Kabila et à Moïse Katumbi. L’enjeu était de taille, dans l’optique de l’élection de décembre 2020. C’est la troisième zone géographique du pays en matière de poids électoral, après les provinces du Kasaï (7,5 millions d’électeurs), fief de Félix Tshisekedi, et l’espace Kivu (7 millions d’électeurs).A lire :
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Fifi Masuka ne se fait pas prier. Alors qu’elle est encore gouverneure intérimaire, elle met les petits plats dans les grands pour accueillir le chef de l’État en mai 2021, tenant même à faire du jour de sa visite un jour férié. Avait-elle le choix ? Le sort réservé à Richard Muyej permet d’en douter.
Loyale au président, la gouverneure sait aussi qu’en politique, tout n’est que rapport de force. Avant les dernières élections, elle voit sa position fragilisée par les ambitions d’Isabelle Kibassa-Maliba pour le poste de gouverneur. Malgré l’intérêt de l’épouse de l’un des frères du président, Fifi Masuka parvient à tracer son propre sillon au sein de la majorité présidentielle. À la tête de plusieurs regroupements, dotés de moyens considérables, elle comptabilise 26 sièges, ce qui fait d’elle la quatrième force politique du pays, devant le MLC de Bemba. Elle a toutefois dû se contenter de deux « petits » ministères – Nathalie Aziza à l’Action sociale et à la Solidarité, et Noella Ayeganagato Nakwipon à la Jeunesse et à l’Éveil patriotique – dans le gouvernement formé dans la nuit du 28 au 29 mai par Judith Suminwa Tuluka, au sein duquel l’UDPS se taille la part du lion.