Les cinq principales dimensions de la crise congolaise : enjeux et perspective – JJ Wondo

Les cinq principales dimensions de la crise congolaise : enjeux et perspective

Par Jean-Jacques Wondo Omanyundu

La crise politique et électorale en cours au Congo-Kinshasa requiert une analyse pluridimensionnelle pour en cerner les motivations et les enjeux. C’est ce que la présente analyse va tenter de décrypter de manière transversale.

a. Dimension politique et électorale

C’est l’enjeu central dont découlent tous les autres enjeux du fait de la non-organisation des élections dans les délais constitutionnels en 2016 et de la non-application intégrale de l’Accord de la Saint-Sylvestre censé assurer la gestion consensuelle du pays après le 31 décembre 2016. Cependant, les manœuvres politiciennes du camp présidentiel, notamment le silence de Joseph Kabila sur son avenir politique après le 23 décembre 2018, sont de nature à générer une extrême polarisation de la crise électorale et une exaspération populaire pouvant induire une instabilité politique beaucoup plus grave si les échéances électorales ne sont pas respectées à l’expiration de cette date.

Il ressort en effet des analyses des experts électoraux que Joseph Kabila et son camp politique font de la question électorale la pièce centrale de la stratégie du « glissement » visant à reporter sine die l’organisation des élections. Cette stratégie s’orchestre au niveau de la CENI dont le fonctionnement, les actions et les prises de décisions laissent transparaitre qu’elle serait inféodée ou instrumentalisée par la famille politique du président Kabila[1]. Si la CENI se veut de lancer des signaux positifs sur le déroulement normal du processus électoral, des doutes sérieux persistent quant à la tenue effective des élections provinciales, législatives et surtout présidentielle.

L’expert électoral Alain-Joseph Lomandja parle du « paradoxe entre la volonté officielle de conduire le pays aux élections et les limitations toujours plus strictes des libertés publiques. A cause des mensonges systémiques, le processus électoral congolais patine depuis 2015. Pire encore, le bout du tunnel devient un horizon fuyant ». Selon lui, « La rhétorique du Pouvoir de Kinshasa sur l’avancement des préparatifs des élections, ne parvient pas – heureusement – à dissimuler les multiples obstacles structurels, institutionnels, politiques, juridiques et techniques qu’il ne cesse d’ériger sur le chemin des élections. (…). Des obstacles qu’il décrit comme « des éléments d’une stratégie globale de maintien de M. Kabila au pouvoir. Certains de ces pièges se réfèrent à la stratégie de glissement mis en place à partir de 2015, d’autres à celle du verrouillage du processus électoral ou aux deux »[2].

A ces éléments, se présentant comme étant des indices sérieux du sabordage du processus électoral, il faudrait ajouter les retards dans le décaissement du budget des élections, le maintien des machines à voter, pourtant contestées par l’opposition, la société civile et certaines ONG internationales, et devenues sources de tensions, les manœuvres politiciennes du camp de Joseph Kabila ne permettant pas un climat de décrispation et d’apaisement politique et sa tentation de plus en plus apparente de briguer un troisième mandat anticonstitutionnel[3]. Cette situation impacterait considérablement le respect du calendrier électoral[4].

b. Dimension sécuritaire

Cet aspect est à la fois un enjeu et le corollaire de l’instabilité politique actuelle. Depuis janvier 2015, on constate que les autorités congolaises optent de plus en plus pour une réponse militariste face à la crise électorale grandissante par une répression très violente des manifestations pacifiques, des activistes des droits de l’homme et des mouvements citoyens. Entre le 1er janvier 2017 et le 31 janvier 2018, au moins 47 personnes ont été tuées par les forces de sécurité et de défense, lors de la répression des manifestations selon les Nations Unies. La Conférence nationale épiscopale nationale du Congo (CENCO) a par ailleurs recensé deux morts lors des manifestations du 25 février 2018[5]. Le Bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l’homme a quant à lui recensé plus de 6400 cas de violations des droits de l’homme en 2017, soit une augmentation de 25 % par rapport à 2016. Il a également enregistré plus de 2000 victimes d’exécutions sommaires et extrajudiciaires, soit une augmentation de 146 % par rapport à 2016. La tendance risque de croître davantage si la crise électorale persiste et s’intensifie.

En même temps, le pays est confronté à la recrudescence des conflits armés et de l’insécurité un peu partout sur son territoire. Une recherche conjointe du Groupe d’étude du Congo et de de Human Rights Watch signale pas moins de 130 groupes armés locaux actifs dans la partie orientale de la RDC[6]. D’autre part, le Katanga et le grand Kasaï continuent de faire les frais de l’insécurité. La situation sécuritaire à Kinshasa et au Kongo central reste très volatile. Certains analystes estiment que les autorités congolaises tentent de réactiver certains groupes armés et des milices de jeunesse[7] pour instaurer un « désordre ordonné »[8] afin de justifier le report sine die des élections, vulgairement appelé le « glissement ». Selon le journaliste Christophe Rigaud : « en jouant ainsi avec le feu, le pouvoir réussit au moins le principal : cultiver le chaos pour empêcher la tenue des élections et espérer pouvoir organiser un référendum pour présenter une nouvelle candidature de Joseph Kabila »[9].

Si les élections ne sont pas organisées le 23 décembre 2018, conformément au calendrier électoral publié par la CENI, ou si elles sont mal organisées, la crise électorale, couplée avec les situations d’insécurité mentionnées ci-dessus et d’autres actes politiques et d’intimidation des opposants et le mécontentement populaire, risquent de plonger la RDC dans un chaos indescriptible et sans précédent. Cette situation aura pour corollaire de fragiliser les mécanismes de règlement pacifique, politique et juridique de la crise politique en RDC, en ce compris le processus électoral. Avec un potentiel élevé de contagion de l’armée et des services de sécurité, cela peut induire une instabilité politique aux conséquences beaucoup plus désastreuses.

La dimension sécuritaire du processus électoral est donc à la fois un enjeu et un corollaire déterminants de la crise électorale en RDC. D’autant qu’il arrive trop souvent que lorsque l’on restreint l’espace d’expression politique et démocratique au profit de la violence d’État, on incite ses adversaires à recourir aux mêmes méthodes comme étant le seul mode d’expression respectable. La violence engendre généralement la violence. Il s’agit de la pure application du principe de Von Clausewitz selon lequel la guerre est « une simple continuation de la politique par d’autres moyens… une poursuite des transactions politiques, une réalisation de celles-ci par d’autres moyens ».

c. Dimension socioéconomique

Le Congo-Kinshasa évolue dans une perspective socioéconomique négative du fait de la volatilité et de l’instabilité du cadre macroéconomique instable et des pressions externes dans un contexte politique national de plus en plus polarisé, avec des risques à la baisse pour l’économie, la position extérieure du pays et le soutien financier international »[10].

Dans ce contexte prospectif socioéconomique négatif, les premières victimes de cette crise sont les populations qui, dans une écrasante majorité, sont laissées au bord d’une politique socioéconomique inflationniste, exclusive et néopatrimonialiste, aux effets d’une bombe sociale à retardement (baisse du pouvoir d’achat, hausse du chômage et de la pauvreté,…). Cela risque de se traduire par des contestations sociales violentes, spontanées, incontrôlables et généralisées.

Par ailleurs le système de prédation kleptocratique qui caractérise le régime congolais va de pair avec la criminalité financière, la répression politique, l’insécurité, les massacres et les violations des droits humains. La prédation et les crimes économiques sont commis par des prédateurs en «cols blancs» comme Albert Yuma, Selemani Mtwale, Dan Gertler et les collaborateurs directs de Joseph Kabila. D’autres cas de prédations plus violents sont commis par des hauts gradés de l’armée et des services de sécurité qui utilisent les hommes en armes, la plupart en uniforme. Ces officiers bénéficient des sinécures de l’appareil d’État, des contrats d’armement, des captations de rentes dans le domaine minier et imitent les criminels à col blanc qui leur sont subordonnés pour prospérer dans le pillage de l’Etat. Concrètement, les horreurs commises en RDC n’accompagnent pas seulement la prédation, mais elles en sont les conséquences.

d. Dimension géopolitique régionale belligène

Cette dimension devient de plus en plus apparente dans le cadre d’une certaine tendance à la bipolarisation quadrangulaire du jeu politique interne à la RDC entre Joseph Kabila et Moïse Katumbi – auxquels s’associent Félix Tshisekedi et plus récemment Jean-Pierre Bemba – notamment dans leurs quêtes respectives de soutiens des pays de la région. Dans cette bataille politique entre ces ex-alliés politiques, Félix Tshisekedi de l’UDPS et de Jean-Pierre Bemba du ML C deviennent l’objet de convoitises et de séductions politiques des deux camps opposés et au centre des jeux des alliances stratégiques de leurs états-majors respectifs. Actuellement, malgré l’illisibilité des actions du Rassemblement, Félix Tshisekedi et Moïse Katumbi continuent à hanter Joseph Kabila[11], résistant aux pressions diverses et à ses tentatives de se maintenir illégalement au pouvoir. Par ailleurs, le retour sur la scène de Jean-Pierre Bemba, après dix années d’incarcération à la CPI, vient complexifier un peu plus le jeu politique des prochains mois. Son ralliement éventuel à l’un des deux camps politiques en conflit ouvert va à coup sûr impacter la période allant jusqu’aux élections prévues en principe le 23 décembre 2018.

Le bras de fer entre le président Kabila et l’opposant Katumbi pourrait procéder également de la continuation de l’enjeu géopolitique africain des grandes puissances[12] et de leurs acteurs de proxys régionaux. Sur l’aspect géopolitique régional, la crise politique congolaise actuelle s’inscrit dans le continuum de la crise régionale du milieu des années 1990, non entièrement consommée. L’instabilité politique et sécuritaire entretenue en RDC répond à ce nouvel ordre géopolitique régional centrifuge, où le Rwanda, l’Ouganda, l’Angola et l’Afrique du Sud, principalement, sont les acteurs de premier plan. Dans cette dynamique systémique, un bouleversement majeur non contrôlé de la situation au Congo-Kinshasa aura des répercussions inévitables sur ces voisins directs et dans la région.

Jusqu’il y a peu, les pays de la région ne semblaient pas tous regarder dans la même direction quant aux stratégies de résolution durable et pacifique de la crise congolaise. Une confrontation militaire régionale[13], par milices ou armées interposées, n’est pas à écarter en RDC. De nouvelles alliances, aussi opportunistes que contre nature, risquent de se créer si jamais la crise électorale congolaise bascule en conflits armés.

On note la position très peu lisible actuelle du Rwanda par rapport à la crise congolaise, plus opportuniste que jamais et soucieux de préserver ses intérêts stratégiques en RDC et de continuer à influencer indirectement la politique congolaise.

Depuis 2016, le président ougandais, Yoweri Museveni, manifeste de plus en plus une attitude d’hostilité contre Joseph Kabila par rapport aux massacres à répétition à Beni et suite aux nombreux incidents armés frontaliers entre les FARDC et l’UPDF (l’armée ougandaise) dans le Virunga. Les accrochages qui ont opposé le 05 juillet 2018  les FARDC aux UPDF sur le Lac Edouard au niveau de la localité de Kyavinyonge, en territoire de Beni, blessant au moins deux militaires congolais et un civil, illustrent la situation de tension pré-explosive entre les deux pays. La rencontre entre les deux présidents à Kasese, en Ouganda, le jeudi 4 août 2016 n’a pas aplani les différends entre les deux pays[14]. Plusieurs missions diplomatiques d’apaisement et réunions des hauts gradés des états-majors des deux armées restent sans succès. Depuis le début de 2018, le général Didier Etumba, le chef d’état-major général des FARDC, a pratiquement établi son QG opérationnel entre Kisangani, Bunia et Beni. Par ailleurs, l’Ouganda et l’Angola auraientla même lecture des conséquences de la crise congolaise.

La Tanzanie, qui serait plutôt sociologiquement affectivement proche de Joseph Kabila du fait de multiples attaches sociales de ce dernier avec ce pays où il a passé l’essentiel de son exil, maintient une posture plutôt favorable à ce dernier.

Le Burundi de Pierre Nkurunziza reste un allié sûr de Kabila. Les deux hommes se connaissent depuis la deuxième guerre du Congo en 1998 lorsque le feu président Laurent-Désiré Kabila avait chargé Joseph Kabila, alors chef d’état-major de l’armée de terre et commandant des opérations au front de Pweto, dans la province du Katanga, de ravitailler et réorganiser les rebelles burundais du CNDD/FDD en armes, munitions, tenues militaires, téléphones satellitaires, parfois en aide financière. Le quartier général de CNDD/FDD était basé à Lubumbashi, plus précisément dans la résidence privée de Joseph Kabila, au quartier Bel-air dans la commune de Lubumbashi, avenue des Savonniers n° 28. A l’époque, c’est ce Pierre Nkurunziza qui s’occupait de réceptionner toute l’aide extérieure destinée au CNDD/FDD pour l’acheminer clandestinement au Burundi par le Lac Tanganyika. Au Katanga, Nkurunziza s’était fait entourer des extrémistes Hutus rwandais avec lesquels il a soutenu l’armée loyaliste congolaise de l’époque, les FAC[15], en RDC, au Katanga dans la guerre contre le RCD-Goma, soutenu par l’armée patriotique rwandaise. Lors de la fameuse bataille de Pweto en 2000 entre le RCD-Goma soutenue par le Rwanda contre l’armée congolaise, les FAC. Nkurunziza a commandé un bataillon du CNDD/FDD positionné en première ligne aux côtés des unités des FAC. C’est avec ces milices, rentrées au Burundi et intégrées dans la Force de défense nationale, que Nkurunziza s’est appuyé pour former sa garde présidentielle[16].

Depuis les violents conflits qui ont éclaté au Kasaï-Central en juillet 2016, l’Angola, puissance militaire tutélaire de l’Afrique médiane[17], manifeste des signes de mécontentement envers les autorités congolaises à cause de l’afflux massif des réfugiés congolais vers le nord de son territoire[18]. Certaines sources diplomatiques africaines évoquent la possibilité d’une intervention militaire dissuasive de l’Angola dans le territoire congolais. Alors que Kabila a amassé des troupes le long de la frontière congolaise au niveau du Congo central, le Président Lourenço a promis de réagir fermement si Kabila laisse pourrir la situation en RDC et ne s’engage pas activement à organiser les élections au 23 décembre 2018[19].

L’Angola tient à la sécurité de ses frontières au point qu’une crise chez son grand voisin du nord, plus intense que le conflit du Kasaï, risque de voir des centaines de milliers de Congolais envahir ses riches provinces diamantifères du Nord. La probabilité d’une intervention préventive et dissuasive de l’Angola en amont du territoire congolais reste de plus en plus réelle et les FAA, l’armée angolaise, s’y préparent sérieusement depuis des mois. En effet, les deux pays partagent une frontière terrestre commune longue de 2.511 kilomètres.

Le Zimbabwe, autrefois soutien indéfectible du président Kabila sous Robert Mugabe, pourrait privilégier une approche multilatérale de la résolution de la crise par la SADC interposée. Les présidents Mnangagwua et Ramaphosa sont des amis de longue date depuis la période de l’Apartheid. Ils pourraient mettre à profit cette amitié pour donner une nouvelle impulsion diplomatique dans les relations entre les deux pays, souvent tendues du temps de Robert Mugabe. Ce qui pourrait avoir une répercussion assez positive au sein de la SADC où les deux pays ne partageaient pas vraiment la même ligne d’action diplomatique sur le dossier de la RDC. Par ailleurs, selon une source de la maison militaire de la présidence congolaise qui s’est confiée à nous, Joseph Kabila et Emerson Mnangagwa, qui s’est rendu à deux reprises à Kinshasa depuis son accession au pouvoir, n’entretiendraient pas de relations assez positives. Les deux hommes se seraient opposés dans le dossier d’indemnisation du Zimbabwe pour sa participation à la deuxième guerre du Congo (1998 – 2002) et dans le conflit qui a opposé la RDC à l’entreprise minière zimbabwéenne la Sengamines dont Mnangagwa était un des actionnaires.

Quant à la position de la grande puissance continentale sud-africaine, sur la RDC, la chercheuse Stéphanie Wolters de l’ISS affirme que les relations entre Pretoria et Kinshasa étaient plutôt régies au seul bénéfice des relations très personnelles entre les présidents Jacob Zuma et Joseph Kabila. Il ne s’agissait pas vraiment de relations d’État à État. « L’une des questions est que la politique [entre la RDC et l’Afrique du Sud] n’est pas régie par le ministère des affaires étrangères, ni par l’ambassade, et ils ne sont pas consultés, ils voient Kabila comme déstabilisant ». Les décisions entre l’Afrique du Sud et  la RDC sont plutôt prises par la présidence entre Zuma et Kabila[20]. Cette situation a permis au régime de Kabila de s’en tirer malgré de graves violations des droits de l’homme et de s’entêter dans le durcissement de son pouvoir. Ce constat est également partagé par Ida Sawyer, chercheuse de Human Rights Watch en RDC. Elle a déclaré que le soutien de la SADC a été crucial pour maintenir Kabila au pouvoir. « Jusqu’à présent, Kabila semblait compter sur le soutien de la région, y compris d’autres dirigeants qui ont semblé utiliser la violence et la corruption pour renforcer leur emprise sur le pouvoir tout en essayant de maintenir une façade de la démocratie »[21].

Cependant, le départ de Jacob Zuma en RSA et la venue de Ramaphosa, qui se veut le garant de la rupture avec la « méthode Zuma » à la tête de la RSA, pourraient remodeler la politique sud-africaine envers la RDC en privilégiant plutôt une relation d’Etat à Etat alignée sur la politique régionale de la SADC. Il semble que l’Angola et la RSA essayent d’adopter une position commune face à la crise congolaise en privilégiant la stabilité de la région des Grands-Lacs au lieu des intérêts personnels de leurs dirigeants respectifs[22].

e) Dimension internationale : Position ambiguë et éclatée de la communauté internationale

Restée souvent dans une posture politique médiane entre les deux protagonistes de la crise politique congolaise, la communauté internationale semble naviguer à deux vitesses. La diplomatie congolaise était parvenue plus ou moins, jusqu’il y a peu, à diviser la communauté internationale en deux camps qui n’ont pas une même interprétation des enjeux de la crise congolaise. D’une part, on a le camp des organisations régionales et sous régionales africaines telles que l’UA, la CIRGL[23] et la SADC dont les prises de position récentes étaient plutôt de nature à accommoder le régime de Joseph Kabila. D’autre part, on a l’UE, les Etats-Unis et les Nations unies qui, à quelques exceptions près, font pression sur Joseph Kabila et son camp politique afin qu’ils fassent le nécessaire pour appliquer rigoureusement l’Accord de la Saint-Sylvestre et pour le strict respect du calendrier électoral prévoyant l’organisation des élections présidentielles, législatives et provinciales au 23 décembre 2018, avec tout de même un succès mitigé sur le terrain.

La seule avancée assez substantielle, mais toujours théorique car très peu appliquée sur le terrain, que l’on peut attribuer à la communauté internationale est le vote de la résolution 2409 (2018) du 27 mars 2018 fixant les priorités stratégiques de la MONUSCO dont le mandat a été prolongé jusqu’au 31 mars 2019. Cette résolution établit une « priorisation des tâches » détaillée du mandat de la mission des Nations unies en RDC. Ces priorités s’articulent principalement autour de la protection des civils en plaçant le commandement direct de la Brigade d’intervention de la MONUSCO sous l’autorité du commandant de la force de la MONUSCO et sur la mise en œuvre de l’Accord du 31 décembre 2016 et du processus électoral. Concernant cette deuxième priorité, la MONUSCO est chargée de « fournir un appui technique et politique » à la pleine mise en œuvre de l’Accord et au processus électoral, y compris en offrant ses bons offices et en dialoguant avec les interlocuteurs de tous bords politiques. La résolution demande notamment « au Président Kabila, à la majorité présidentielle et à l’opposition » de mettre en œuvre sans délai l’Accord « en toute bonne foi et dans son intégralité », en particulier en appliquant pleinement les mesures de confiance qu’il prévoit[24]. Cependant, il convient tout de même de constater qu’à ce jour, les autorités congolaises se sont montrées réfractaires à se conformer à toutes les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies depuis la résolution 2098 de mars 2013.

Malgré les éléments mentionnés ci-dessus, il faudrait surtout intégrer l’enjeu minier, où le coltan et le cobalt sont des matières stratégiques essentielles pour les économies des grandes puissances, comme un paramètre décisif et indissociable de la crise congolaise actuelle. Les acteurs miniers multinationaux (Glencore, KCC, China Molybdenum, etc.), à l’instar de la chute de Mobutu, seront encore déterminants dans les joutes diplomatico-militaires à venir au Congo-Kinshasa. C’est un pays atypique où la tradition veut que les alternances au pouvoir ne s’opèrent que par le fait militaire direct ou indirect : coup d’état, rébellion, assassinat.

Conclusion

Les intenses tractations diplomatiques de l’ombre ainsi que les différents lobbyings des acteurs politiques(,) régionaux, internationaux et de la société civile auprès des organisations régionales africaines semblent redessiner un schéma politico-diplomatique consensuel sur le constat que Kabila est le problème de la crise congolaise. Son maintien au pouvoir sera de nature à cristalliser cette crise qui pourrait embraser la région des Grands-Lacs. Il ne pourra et ne devra donc plus en être la solution, dit-on dans certains cercles diplomatiques.

Il semble que l’Angola, l’Ouganda, le Rwanda, la Zambie, le Congo-Brazzaville et l’Afrique du Sud, impliqués activement dans la résolution de la crise en RDC, envisageraient plusieurs scénarios où la SADC n’exclurait pas l’option d’une force militaire régionale similaire à celle qui est intervenue en Gambie en janvier 2017 si la situation dégénère sur le terrain. Il convient de rappeler que les grands bouleversements politiques intervenus en RDC depuis 1997 se sont faits avec une implication active de ces pays. Ce scénario pourrait se décliner notamment sous-forme d’un déploiement d’une force régionale, soutenue par les organisations régionales et la communauté internationale[25] si les élections ne sont pas organisées comme prévu par le calendrier électoral en vue de permettre une transition consensuelle pacifique devant conduire la RDC aux élections libres, transparentes et inclusives.

En début avril 2018, les autorités angolaises avaient averti leurs homologues congolais que la région – SADC – n’accepterait pas un nouveau report des élections en RDC, programmées pour le 23 décembre 2018. Elles ont été appuyées par le nouveau président du Botswana qui a sévèrement reproché à Kabila de vouloir se maintenir au pouvoir[26]. Les déclarations du président rwandais, Paul Kagame, en marge de la cérémonie de remise du prix Mo Ibrahim 2017 à Kigali le 28 avril 2018, laissent transparaitre l’intention d’une implication régionale plus active en RDC. Il a évoqué les risques de troubles politiques en cas de dérapage du processus électoral en RDC, de leur impact sur la stabilité de ses neuf voisins. Il plaide pour la légitimité des pays voisins d’avoir un droit de regard sur ce qui s’y passe et d’y agir[27]. La nomination de Didier Nyembwe Kazadi, l’homme des missions périlleuses de Kabila, au poste d’ambassadeur extraordinaire de la RDC en Angola, est un signe qui montre que les nuages entre les deux pays sont loin d’être dissipés.

La crispation politique polarisante causée par un régime appliquant la stratégie du « pouvoir ou le pouvoir » au moyen d’un processus électoral verrouillé par la formule « on gagne ou on gagne », fait que le Congo est ainsi sous l’emprise d’un pouvoir foncièrement hostile à l’idée qu’un peuple puisse choisir librement ses dirigeants et mener de façon épanouie une vie démocratique[28]. Les intenses ballets diplomatiques afro-européens qui ont eu lieu aux mois de mai et de juin 2018 en France et en Belgique ainsi que la libération surprise de Jean-Pierre Bemba laissent entrevoir des lendemains assez tourmentés en RDC.

L’heure de vérité s’approche à grands pas d’ici au 23 décembre 2018. Un rebondissement diplomatique spectaculaire de dernière minute en faveur de Joseph Kabila, qui ne lésine pas sur ses moyens financiers amassés illicitement, dans ses lobbyings en Israël, en France, en Russie et aux Etats-Unis, n’est pas à sous-estimer. L’homme est loin d’avoir brûlé ses dernières cartouches dans une bataille où les Congolais sont pratiquement devenus des spectateurs de leur destin.

Jean-Jacques Wondo Omanyundu/Exclusivité DESC

Références

[1] Dans ses articles publiés sur DESC, l’expert électoral Alain-Joseph Lomandja parle du sabordage du processus électoral et de l’instrumentalisation de la CENI par la famille politique du président Kabila.

[2] Alain-Joseph Lomandja, Mensonges d’Etat et impasses actuelles du processus électoral au Congo de Joseph Kabila. DESC, 07 juin 2018. http://desc-wondo.org/fr/mensonges-detat-et-impasses-actuelles-du-processus-electoral-au-congo-de-joseph-kabila-aj-lomandja/.

[3] http://desc-wondo.org/fr/rdc-il-ny-a-pas-eu-une-nouvelle-constitution-qui-aurait-leffet-de-linterruption-de-computation-des-mandats-presidentiels-masegabyo-mululu/. Ou http://desc-wondo.org/fr/quid-de-la-validite-juridique-de-la-these-de-limmutabilite-constitutionnelle-en-faveur-dun-troisieme-mandat-presidentiel-de-kabila-aime-gata/.

[4] Nadia Nsayi & Charis Basoko, Quel scénario pour le Congo ?, Note d’analyse, Pax Christi -Broedelijk Delen – Rodhecic, 30 avril 2018.

[5] https://www.radiookapi.net/2018/02/25/actualite/politique/marche-du-clc-en-rdc-zero-deces-enregistre-police-deux-morts-selon-la.

[6] Jason Stearns et Christoph Vogel, La Topographie Des Groupes Armés Dans l’Est Du Congo, Réseaux fragmentés et politisés, BAROMETRE SECURITAIRE DU KIVU––DECEMBRE 2017.

[7] A Kinshasa, des badauds « recrutés par un ministre de la République » tentent de perturber une messe à Notre Dame du Congo le 17 décembre 2017.http://www.afriwave.com/?p=6306.

[8] La notion de désordre ordonné renvoie à la situation de certaines parties de la planète où l’on entretient et renforce sciemment la militarisation de la société – par des cycles de guerre sans fin –, au bénéfice des élites politiques et économiques nationaux et régionaux. Laurent Gayer, « Ni guerre ni paix : guerres sans fin(s) ou désordres ordonnés. », in Nouvelles guerres. L’état du monde 2015, La Découverte, Paris, 2014, pp. 54-67

[9] http://afrikarabia.com/wordpress/rdc-vers-un-chaos-generalise-pour-contrer-les-elections/.

[10] http://www.politico.cd/actualite/la-une/2017/12/16/moodys-contredit-bcc-degrade-note-souveraine-de-rdc.html.

[11] Jean-Bosco Kongolo M, Félix Tshisekedi et Moïse Katumbi, un duo qui hante le projet de glissement de Joseph Kabila. DESC, 17 mai 2018. http://desc-wondo.org/fr/felix-tshisekedi-et-moise-katumbi-un-duo-qui-hante-le-projet-de-glissement-de-joseph-kabila-jb-kongolo/.

[12] JJ Wondo, Le duel Kabila – Katumbi : la continuation de l’enjeu géopolitique en Afrique, DESC-WONDO, 13 mai 2016. http://desc-wondo.org/fr/le-duel-kabila-katumbi-la-continuation-de-lenjeu-geopolitique-en-afrique-jj-wondo/.

[13] Jean-Jacques Wondo Omanyundu, « Guerre imminente dans les Grands-Lacs ? Une inquiétante course aux armements dans la région », DESC, 27 mars 2015. http://desc-wondo.org/fr/guerre-imminente-dans-les-grands-lacs-une-inquietante-course-aux-armements-dans-la-region-jj-wondo/.

[14] JJ Wondo, DESC Confidentiel : Le séjour de Kabila à Kasese et à Beni : des signaux inquiétants ! DESC, 23 août 2016. http://desc-wondo.org/fr/desc-confidentiel-le-sejour-de-kabila-a-kasese-et-a-beni-des-signaux-inquietants/.

[15] Forces armées congolaises sous Laurent-Désiré Kabila.

[16] Jean-Jacques Wondo Omanyundu, La crise au Burundi et l’attaque de Goma : Vers la fin de la triple alliance opportuniste Kagame – Kabila – Nkurunziza ?, DESC_WONDO, 03 juin 2015. http://desc-wondo.org/fr/la-crise-au-burundi-et-lattaque-de-goma-la-fin-de-la-triple-alliance-opportuniste-kagame-kabila-nkurunziza-jj-wondo/.

[17] Luntumbue & Wondo, « La posture régionale de l’Angola : entre politique d’influence et affirmation de puissance », GRIP, Bruxelles, 3 juin 2015.

[18] Déclaration de George Chikoti, ancien ministre angolais des Relations extérieures sur RFI, le 29 mai 2017.

[19] Selon des informations qui nous sont parvenues de la rencontre entre Lourenço et Kabila en décembre 2017 à Brazzaville.

[20] https://www.businesslive.co.za/fm/features/africa/2017-08-31-zuma-and-kabilas-friendship-guides-foreign-policy-at-expense-of-democracy/.

[21] Simon Allison, Can Southern Africa save the DRC? 13 Apr 2018, https://mg.co.za/article/2018-04-13-00-can-southern-africa-save-the-drc#.WtEJrJK5SO0.twitter.

[22] Entretien avec Stephanie Wolters de l’ISS, le 11 mars 2018 à Johannesburg.

[23] En novembre 2004, onze chefs d’État et de Gouvernement de la région adoptent la Déclaration sur la paix, la sécurité et le développement dans la région des Grands Lacs à Dar-es-Salaam (Tanzanie), qui a débouché sur la création de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) qui regroupe douze États membres ( Angola, Burundi, RCA, République du Congo, RDC, Kenya, Ouganda, Rwanda, Soudan, Soudan du Sud, Tanzanie et Zambie).

[24] https://www.un.org/press/fr/2018/cs13265.doc.htm.

[25] Informations recueillies par DESC.

[26] « RDC: le Botswana accentue la pression sur Kabila », La Libre Afrique, 20 avril 2018.

[27] Pour Kagame : « Les problèmes du Congo ne sont pas seulement des problèmes congolais.  Le Congo a neuf voisins, chacun de nous est affecté par ce qui se passe au Congo. Il n’y a aucun doute à ce sujet. Certains plus que d’autres, mais tout le monde est affecté. (…) C’est pourquoi naturellement les voisins ont la légitimité de faire quelque chose ou d’en dire quelque chose ».

[28] Boniface Musavuli, Kabila-2018 : Le pouvoir ou le pouvoir, il va tenter le diable. DESC, 10 janvier 2018. http://desc-wondo.org/fr/kabila-2018-pouvoir-pouvoir-tenter-diable-b-musavuli/.

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