Nationalité congolaise, foire d’empoigne et bon sens

Par Boniface Musavuli

La question de la nationalité s’est à nouveau invitée dans les débats politiques au Congo-Kinshasa. Dans la perspective des élections annoncées de décembre 2018, plusieurs figures politiques pourraient être embarrassées par des révélations intempestives sur leurs nationalités acquises à l’étranger et auxquelles elles n’ont pas renoncé, par ignorance de la procédure ou par distraction, avant d’accéder à divers mandats politiques. Des omissions constitutives d’infraction et sanctionnées, entre autres, par la disqualification de toute compétition électorale. Moïse Katumbi, ancien gouverneur du Katanga et à la tête d’une coalition de l’opposition, et Sammy Badibanga, ancien Premier ministre, sont parmi les personnalités déjà attaquées par leurs adversaires pour avoir détenu la nationalité italienne pour le premier, belge pour le second, tout en exerçant des mandats politiques au Congo.  

L’ampleur du phénomène des « binationaux » va toutefois au-delà des deux personnalités, et la loi du silence est généralement de mise, chaque fois que le débat refait surface. Mais étant donné que c’est le camp Kabila qui décide d’ouvrir la boîte de Pandore[1], pour accabler Moïse Katumbi, les fidèles de ce dernier et anciens défenseurs de la « congolité » de Joseph Kabila, en 2006, menacent de « secouer le nid d’abeilles » et embarrasser bien des personnalités du camp présidentiel. Ce qui devrait entrainer la campagne électorale dans un pourrissement aux conséquences imprévisibles. 

Nous allons rappeler le cadre posé par la Constitution (1), la loi de 2004 sur la nationalité (2) et la nécessité de repenser la nationalité congolaise (3).

1. Le cadre posé par la Constitution

L’article 10 de la Constitution du 18 février 2006 est ainsi libellé : « La nationalité congolaise est soit d’origine, soit d’acquisition individuelle. Est Congolais d’origine, toute personne appartenant aux groupes ethniques dont les personnes et le territoire constituaient ce qui est devenu le Congo (présentement la République Démocratique du Congo) à l’indépendance. Une loi organique détermine les conditions de reconnaissance, d’acquisition, de perte et de recouvrement de la nationalité congolaise ».

Ce texte institutionnel fut adopté en 2006 par référendum à l’issue d’une période de transition décidée par le dialogue intercongolais de 2002-2003. Ce dialogue, dominé par les belligérants de la Deuxième Guerre du Congo[2], avait abouti à l’Accord global et inclusif signé à Pretoria le 17 décembre 2002, adopté à Sun City le 1er avril 2003, puis concrétisé par la mise en place, le 30 juin 2003, du gouvernement de transition dirigé par un président et quatre vice-présidents, le fameux 1+4. La Constitution de la RDC a donc été rédigée dans un contexte particulier qui tenait compte des revendications des forces impliquées dans la guerre, notamment les forces parrainées par des pays voisins. Profitant de l’homogénéité culturelle des populations transfrontalières, et la faiblesse de l’Etat congolais, ces pays et leurs alliés avaient entrepris de matérialiser leurs ambitions territoriales à l’intérieur des frontières de la RDC et imposé au constituant congolais une conception de la nationalité qui entérinait le fait accompli.

Si la question de la nationalité déchaîne autant de passions au Congo, c’est aussi parce que le cadre juridique est assez conflictuel. En effet, la nationalité congolaise d’origine, qui fait débat en période électorale, repose sur le critère de rattachement ethnique et territorial qui rentre souvent en conflit avec le principe de « nationalité une et exclusive ». À cette conflictualité s’ajoute surtout la difficulté de se faire accepter comme « congolais » dans un pays largement livré à l’arbitraire des hommes au pouvoir, la contestation de la légitimité des institutions et l’instrumentalisation de la nationalité au titre d’armes politiques entre adversaires dans une compétition électorale[3].

D’une manière générale, la nationalité congolaise par acquisition ne fait pas débat en période électorale. Nous allons donc nous limiter à la nationalité congolaise d’origine, telle qu’elle est cernée par la loi de 2004, destinée à préciser les dispositions de l’article 10 de la Constitution. En effet, pour ceux qui s’engagent en politique, la nationalité congolaise doit être à la fois d’origine et exclusive pour être candidat à la présidence de la République, article 72[4], ou à la présidence de l’une ou l’autre des deux chambres du parlement (Sénat et Assemblée nationale), article 111[5].

2. La loi du 12 novembre 2004 sur la nationalité

Aux termes de la loi du 12 novembre 2004, la nationalité congolaise d’origine repose sur trois bases : l’appartenance, la filiation et la présomption de la loi.

– La nationalité congolaise d’origine par appartenance est celle  de « toute personne appartenant aux groupes ethniques et nationalités dont les personnes et le territoire constituaient ce qui est devenu le Congo à l’indépendance », article 6.

– La nationalité congolaise d’origine par filiation est celle de « l’enfant dont l’un des parents – le père ou la mère – est Congolais. La filiation de l’enfant n’a d’effet sur la nationalité de celui-ci que si elle est établie durant sa minorité conformément à la législation congolaise », article 7. Enfin,

– la nationalité congolaise d’origine par présomption de la loi est celle de « l’enfant nouveau-né trouvé en République Démocratique du Congo dont les parents sont inconnus. Toutefois, il sera réputé n’avoir jamais été Congolais si, au cours de sa minorité, sa filiation est établie à l’égard d’un étranger et s’il a, conformément à la Loi nationale de son parent, la nationalité de celui-ci », article 8.

Cette loi, découlant du dialogue inter-congolais de Sun City, avait répondu aux revendications portées par le mouvement RCD-Goma, parrainé par le Rwanda et hostile à la conception restrictive de la nationalité congolaise telle que consacrée par une décision du président Laurent-Désiré Kabila.

Pour rappel, dans son décret-loi sur la nationalité signé en 1999, alors que deux-tiers du territoire congolais échappaient au contrôle de Kinshasa, en pleine guerre, le président Laurent-Désiré Kabila avait posé un cadre restrictif de la nationalité en ces termes : « est Congolais d’origine, à la date du 30 juin 1960, toute personne dont un des ascendants est ou a été membre d’une des tribus établies sur le territoire de la République Démocratique du Congo, dans ses limites au 1er août 1885. […] L’accès à certaines fonctions publiques est réservé exclusivement aux Congolais d’origine de père et de mère »[6].

La référence aux « tribus établies sur le sol congolais en 1885 » entraînait l’exclusion de la nationalité congolaise d’origine des personnes issues des vagues migratoires à partir des pays voisins, les populations d’origine rwandaise notamment, majoritairement issues des migrations organisées par l’administration coloniale belge (la MIB[7]), les réfugiés de la révolution sociale de 1959, les réfugiés de 1994 et les membres des forces d’occupations arrivés au Congo à partir de 1996[8].

3. Entre « nationalité restrictive » et « nationalité ratissant large », le bon sens

Si le décret-loi de Laurent-Désiré Kabila (référence en 1885) se justifiait dans un contexte de guerre d’agression par des pays voisins, avec implication des populations transfrontalières, la loi du 12 novembre 2004, issue du dialogue de Sun City, aura consacré une nationalité congolaise d’origine si extensive que pratiquement toutes les populations à cheval sur les neufs frontières du Congo sont en étant de revendiquer les privilèges de la nationalité congolaise d’origine, les termes « groupes ethniques et nationalités » n’ayant pas été précisés. De nombreux Congolais sont ainsi fermement opposés à cette conception extensive de la nationalité congolaise à l’origine d’une présence pléthorique des sujets étrangers dans l’appareil de l’État congolais, avec des dérives parfois ahurissantes[9]. À ces dérives s’ajoutent les effets de « la nationalité une et exclusive » qui font que des Congolais d’origine, contraints de quitter leur pays à cause de la violence politique ou des aléas de la vie, perdent leur nationalité congolaise dès qu’ils acquièrent la nationalité du pays d’accueil.

Cette situation absurde a amené la coordination de la Diaspora congolaise, conviée au dialogue intercongolais de 2013, à réclamer la matérialisation du « caractère inaliénable de la nationalité congolaise d’origine »[10]. Ainsi, le principe selon lequel « la nationalité congolaise est une et exclusive » ne devrait plus s’appliquer aux Congolais d’origine. L’adoption de cette proposition par le législateur aurait pour avantage de préserver les débats politiques du pourrissement vécu en 2006 et la foire d’empoigne dont le décor est maintenant planté d’ici à l’avènement du prochain président. Le juriste Jean-Bosco Kongolo fait remarquer que dans le contexte actuel, le maintien et l’application du principe de « la nationalité une et exclusive » sont d’autant plus dangereux pour la nation que depuis 1997, il n’existe plus de carte d’identité nationale. Cette situation favorise n’importe quel étranger se trouvant irrégulièrement sur le sol de l’État congolais de se prévaloir, moyennant les faiblesses de l’administration et de la Direction générale de l’immigration (DGM) à se prévaloir de la nationalité congolaise d’origine.

Par ailleurs, dans un pays encore dominé par le sentiment d’appartenance ethnique ou tribale, il serait intéressant de mettre l’accent sur les conséquences probables que pourraient entrainer le débat et l’exclusion de tel ou tel candidats à la compétition pour la fonction présidentielle. Dans certains coins du pays, la base électorale (ethnique ou tribale) d’un candidat exclu pourrait être amenée à créer des troubles lors de la campagne électorale de son (ses) adversaire(s). Et la guerre civile est vite déclenchée.

Conclusion

Le Congo a besoin d’un Etat responsable capable d’identifier et protéger ses nationaux, ainsi que les étrangers qui ont choisi son sol comme patrie d’adoption. Le pays doit se doter d’une administration crédible et d’un personnel politique capable d’élaborer et veiller à l’application des textes de loi qui protègent les intérêts légitimes de la nation et s’adaptent aux évolutions de la société. Il est peu probable que les acteurs politiques se passent d’une question aussi cruciale que celle de la nationalité en période électorale. Pour autant, ils devraient s’engager à sortir par le haut de cette période de surenchère politique. Il s’agit de concevoir un cadre juridique qui limite à la fois les frustrations engendrées par une conception trop restrictive de la nationalité et les dérives d’une nationalité ratissant, inconséquemment, large. Bien évidemment, il s’agit par-dessus tout, de restaurer la confiance entre le citoyen d’un côté, les institutions de l’Etat et leurs animateurs de l’autre. C’est l’exposé des motifs de la Constitution.

Boniface Musavuli

Coordonnateur DESC
Analyste politique, auteur des ouvrages :

– Les Génocides des Congolais – De Léopold II à Paul Kagame,

– Les Massacres de Beni – Kabila, le Rwanda et les faux islamistes.

Références

[1] Expression « ouvrir la boîte de Pandore » signifie poser un acte qui déclenche de grands malheurs, des évènements catastrophiques. Tirée de la mythologie grecque, cette expression renvoie à la première femme de l’humanité : Pandore. À l’origine, il y a la haine que Zeus vouait à Prométhée, ce fils de Titans qui avait volé le feu pour l’offrir aux hommes. Zeus cherchait à se venger de Prométhée en s’en prenant aux hommes. Pour arriver à ses fins il demanda à Héphaïstos de créer une femme, Pandore, et l’offrit à Épiméthée, le frère de Prométhée. Pandore signifie tous les dons (pan = tous, dor = don) car à sa naissance elle reçut de nombreux dons de la part des dieux et déesses, dont la curiosité. En plus de ces dons, Zeus lui fit cadeau d’une boite mystérieuse qu’elle ne devait surtout pas ouvrir. Lorsque Pandore céda à la curiosité, en ouvrant la boite elle libéra tous les maux qui affectent l’humanité car Zeus y avait mis, entre autres, la maladie, la vieillesse, la misère, la guerre, la famine, le vice, la folie, la passion, la tromperie, ainsi que l’espérance. Hélas lorsqu’elle voulut refermer la boite, seule l’espérance y resta enfermée… Cf. Expressions françaises, http://www.expression-francaise.fr/ouvrir-une-boite-de-pandore/.

[2] Avaient pris part à ce dialogue : le Gouvernement, le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD), le Mouvement de Libération du Congo (MLC), l’Opposition politique, les Forces vives, le Rassemblement Congolais pour la Démocratie/Mouvement de Libération (RCD/ML), le Rassemblement Congolais pour la Démocratie/National (RCD/N), les Mai-Mai.

[3] L’article 47 de la loi du 12 novembre 2004 dispose : « Le Ministre de la Justice et Garde des Sceaux est l’autorité compétente pour délivrer le certificat de nationalité ». La preuve de la nationalité congolaise  repose sur un document : « le certificat de nationalité » que seul le ministre de la Justice est habilité à délivrer. Membre d’un gouvernement dont la légitimité est contestée, les institutions à mandat électif étant hors-mandat (Président, députés, sénateurs), un ministre de la Justice peut tout de même décider, de façon discrétionnaire, de qui est Congolais et qui ne l’est pas. Ainsi, face à deux cas de double nationalité, le ministre Alexis Thambwe Mwamba a décidé que Sammy Badibanga remplissait les conditions de la nationalité congolaise exclusive pour occuper le poste de Premier ministre, mais répète depuis des mois que Moïse Katumbi, longtemps gouverneur du Katanga, ne remplit pas les conditions de la nationalité congolaise exclusive pour se porter candidat à l’élection présidentielle.

[4] Article 72. Nul ne peut être candidat à l’élection du Président de la République s’il ne remplit les conditions ci-après : 1. posséder la nationalité congolaise d’origine ; 2. être âgé de 30 ans au moins ; 3. jouir de la plénitude de ses droits civils et politiques ; 4. ne pas se trouver dans un des cas d’exclusion prévus par la loi électorale.

[5] Article 111. L’Assemblée nationale et le Sénat sont dirigés, chacun, par un Bureau de sept membres comprenant : 1.  un président ; 2. un premier vice-président ; 3. un deuxième vice-président ; 4. un rapporteur ; 5. un rapporteur adjoint ; 6. un questeur ; 7. un questeur adjoint. Les Présidents des deux Chambres doivent être des Congolais d’origine. Les membres du Bureau sont élus dans les conditions fixées par le Règlement intérieur de leur Chambre respective.

[6] Cf. Décret-Loi n° 197 du 29 janvier 1999 modifiant et complétant la loi n° 81-002 29 juin 1981 sur la nationalité zaïroise.

[7] Entre 1935 et 1955, la Belgique, puissance coloniale, ayant en même temps la tutelle sur le Rwanda et le Burundi, avait organisé une immigration massive vers le Congo. Le service administratif chargé de cette opération fut débaptisé MIB (Mission d’Immigration des Banyarwanda), et devint plus tard MIP (Mission d’Immigration de la Population). Durant cette période, l’autorité coloniale implanta des dizaines de milliers de familles rwandaises dans les actuels territoires du Masisi et de Rutshuru (Nord-Kivu), de Kalehe (Sud-Kivu) et de Moba (Tanganyika).

[8] A ces derniers, l’acte fondateur de l’AFDL avait promis une nationalité congolaise collective et « cédé 300 kilomètres aux frontières congolaises, à l’intérieur du pays ». Une promesse politiquement impossible à tenir et un des facteurs déclenchants de la Deuxième Guerre du Congo après la rupture entre LD Kabila et ses alliés rwandais et ougandais.

[9] C’est entre autres le cas du criminel de guerre Bosco Ntaganda, longtemps général et commandant des forces armées congolaises, qui révéla être un sujet rwandais devant la Cour pénale internationale.

[10] rdpc-rdcongo.blogspot.fr/2013/10/communique-de-presse-n-20131005009.html.

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