Face à Félix Tshisekedi, Joseph Kabila ou la menace fantôme
LE MATCH DE LA SEMAINE – Convaincu que l’ancien président congolais soutient les rebelles qui cherchent à le renverser, l’actuel chef de l’État durcit le ton. Kabila, lui, est toujours muré dans le silence. Jusqu’à quand ?
Publié le 19 août 2024Lecture : 4 minutes.
Dans les couloirs de la présidence congolaise, certains l’appellent « le parrain ». Depuis des mois, les conseillers de Félix Tshisekedi en sont persuadés : Joseph Kabila serait la « main noire » derrière l’Alliance fleuve Congo (AFC), la plateforme politico-militaire créée par Corneille Nangaa et les rebelles du M23. « Qui d’autre que lui ? Il sait très bien ce qu’il a à se reprocher dans cette affaire », lance un conseiller du chef de l’État.
Longtemps insinuée, la question du lien présumé entre Joseph Kabila et les rebelles du M23 a été évoquée publiquement pour la première fois par Félix Tshisekedi le 6 août. Lors d’une interview accordée à deux médias congolais, le président a accusé son prédécesseur d’être derrière ceux qui cherchent à le renverser. « Joseph Kabila a boycotté les élections et maintenant il prépare une insurrection, parce que l’AFC, c’est lui », a-t-il affirmé.
Jamais le chef de l’État n’avait formulé d’accusations aussi lourdes contre son prédécesseur. Les deux hommes, qui ont péniblement cohabité au début du premier mandat de Tshisekedi, ont beau ne plus entretenir de liens directs depuis plus de trois ans, le silence de Kabila obsède l’entourage présidentiel.
Le roi du silence
Il faut dire que, depuis le début de l’année, celui qui a dirigé la RDC pendant dix-huit ans (2001-2019) a complètement disparu des écrans radar. Parti quelques jours après la réélection de Félix Tshisekedi, Joseph Kabila s’est d’abord rendu, fin janvier, à l’université de Johannesburg pour y valider le sujet de sa thèse de doctorat. Il a ensuite effectué un déplacement, un mois plus tard, en Namibie, à Windhoek, afin d’assister aux obsèques du président Hage Geingob, dont il était proche. Depuis, plus rien. Pas une photo, ni une vidéo. Encore moins une prise de parole. Une discrétion exceptionnelle, même pour celui que l’on surnomme parfois le roi du silence, qui fait craindre, au sein du pouvoir, une réaction violente de l’ex-président.A lire :
« L’AFC, c’est lui » : Tshisekedi accuse Kabila de soutenir la rébellion de Nangaa et du M23
Les occasions ont pourtant été nombreuses. Mais le raïs n’a pas réagi lorsque sa sœur jumelle, Jaynet, a été interrogée par les services de sécurité en mars. Ni lorsque l’armée a perquisitionné la fondation Laurent-Désiré Kabila et « soustrait », selon cette dernière, le véhicule qui a transporté le corps de son père, assassiné en 2001. Il n’a rien dit non plus quand des membres de la Force du progrès, une milice proche de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS, au pouvoir), ont été accusés d’avoir attaqué sa résidence de Kinshasa, laissant à son épouse, Olive Lembe Kabila, le soin de mettre en garde le pouvoir, le 31 juillet.
Insondable
Dans le même temps, la pression s’est accentuée. L’entourage de Félix Tshisekedi prêtait déjà depuis des mois à Joseph Kabila des intentions belliqueuses, des inquiétudes renforcées par le boycott des dernières élections et l’appel à la résistance « dans le respect de la Constitution » lancé par l’ex-président en juin 2023 à son camp politique. Le premier cercle présidentiel a plusieurs fois tenté de sonder les intentions de Kabila avant les scrutins et Tshisekedi a dépêché auprès de lui plusieurs émissaires. Mais le raïs est demeuré insondable.A lire :
Les intrigants silences de Joseph Kabila
L’émergence de l’AFC, lancée par Corneille Nangaa – perçu comme un proche de Kabila – le 15 décembre, soit à cinq jours des dernières élections, a achevé de convaincre le président des objectifs supposément antirépublicains de son prédécesseur. Dans les faits, plusieurs cadres du camp de l’ancien président ont rejoint l’AFC et se sont publiquement affichés aux côtés de Nangaa. Le parti de l’ex-chef de l’État les considère comme des « cas isolés », mais cette dynamique a alarmé le pouvoir.
« Sans preuve ni fondement »
Puis ce fut l’escalade. Fin mars, le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Christophe Lutundula, a mis en garde l’ex-président contre toute forme de « collusion » avec une puissance étrangère. Dans la foulée, c’est Augustin Kabuya, secrétaire général de l’UDPS, qui l’a accusé devant les militants du parti présidentiel de soutenir le M23. Quelques jours plus tard, le nom de Kabila a cette fois été cité par Éric Nkuba Shebandu parmi les soutiens de la rébellion. Ce conseiller de Nangaa, présent à Nairobi lors du lancement de l’AFC, a été arrêté en Tanzanie en janvier.
Face à ces attaques, Joseph Kabila n’a fait que contester par le biais de ses lieutenants. Au lendemain des propos tenus par Félix Tshisekedi à la presse congolaise, c’est une nouvelle fois sa porte-parole, Barbara Nzimbi, qui a demandé à ce que le président « arrête d’accuser Joseph Kabila, jour et nuit, sans preuve ni fondement ».A lire :
M23 en RDC : cinq questions pour comprendre pourquoi le conflit s’enlise
Kabila pourra-t-il encore longtemps faire l’économie de sa propre parole ? « Son silence a longtemps été une arme pour nous, mais il risque de devenir un handicap si on ne clarifie pas notre position », soupire l’un de ses anciens ministres. « Pourquoi perdrait-il son temps à réagir à chaque outrance du pouvoir ? interroge l’un des émissaires de l’ex-président. Se justifier reviendrait à donner de la crédibilité à ces accusations alors qu’elles ne reposent sur rien. »
Le 8 août, Corneille Nangaa et plusieurs cadres du M23 ont été condamnés à mort, la plupart in abstentia, par la justice militaire. Interrogé sur une procédure qui pourrait être intentée contre Kabila, le ministre de la Justice, Constant Mutamba, s’est refusé à citer son nom, affirmant simplement que toutes les personnes en contact avec le M23 et le Rwanda seront poursuivies.