Constant Mutamba, ministre de la Justice en RDC : « Que représentent mes propos face aux souffrances que le Rwanda inflige aux Congolais ? »

Depuis sa nomination, en mai dernier, le ministre de la Justice a déclaré la guerre aux « réseaux mafieux » au sein de l’appareil judiciaire congolais, mais aussi au Rwanda et à son président, Paul Kagame. Malgré les critiques sur ses méthodes, le garde des Sceaux défend son approche.

Le ministre de la Justice de RDC, Constant Mutamba, à la prison de Ndolo, à Kinshasa, le 8 août 2024. © Hardy Bope/AFP
Le ministre de la Justice de RDC, Constant Mutamba, à la prison de Ndolo, à Kinshasa, le 8 août 2024. © Hardy Bope/AFP

Publié le 6 décembre 2024Lecture : 8 minutes.

Constant Mutamba n’a pas peur de choquer. Le ministre de la Justice de RDC en a même fait une marque de fabrique. Ce 5 décembre, il ne s’est en effet pas contenté d’exprimer sa satisfaction après le verdict de la Haute cour militaire confirmant la condamnation à mort de cinq membres de l’Alliance Fleuve Congo (AFC), mouvement rebelle dirigé par Corneille Nangaa. Il a aussi assuré que son ministère allait « veiller à ce que la peine de mort soit exécutée contre les condamnés présents à Kinshasa ».

Bras de fer avec le Conseil supérieur de la magistrature, prime en échange de l’arrestation de Paul Kagame, le président du Rwanda, réformes judiciaires, révision ou changement de la Constitution… Il multiplie les sujets et les prises de position. Défendant des méthodes « fortes », il affirme la nécessité de redresser un appareil judiciaire que le président Félix Tshisekedi a décrit comme « malade » et que l’Église catholique a jugé en « état comateux ». L’un de ses objectifs : démanteler les réseaux mafieux qui « freinent » le développement de la RDC.

Jeune Afrique : Rétablir la peine de mort et briser le moratoire sur son application ne va-t-il pas à rebours du sens de l’histoire ?

Constant Mutamba : Absolument pas. C’est légal. Les codes pénaux civil et militaire congolais prévoient la peine de mort comme sanction dans un certain nombre d’infractions, notamment celles pour lesquelles Corneille Nangaa et affidés ont été condamnés. Elle sera appliquée.

Le sera-t-elle pour tous les condamnés à mort, ou seulement pour quelques cas emblématiques ?

L’application sera étendue à tous les condamnés à mort, surtout ceux qui ont trahi la République, qui ont commis une trahison ou ont porté atteinte à la sûreté de l’État.

Comment sera-t-elle appliquée ?

Les méthodes prévues par la loi congolaise sont la pendaison ou la fusillade.

Au-delà de cette actualité, vous avez été au cœur des états généraux de la justice, organisés à l’initiative de Félix Tshisekedi mi-novembre. Quel bilan en tirez-vous ?

Les états généraux ont mobilisé plus de 5 000 participants à Kinshasa du 6 au 16 novembre, sous le thème : « Pourquoi la justice congolaise est-elle malade ? Quelle thérapie pour la guérir ? » Les travaux ont été organisés en toute transparence, sans aucun incident, et des réformes profondes de notre système judiciaire ont été proposées par la majorité des participants et saluées par notre peuple. Les objectifs de la tenue des états généraux ont été atteints.

Comment expliquez-vous que les rapports présentés devant le président de la République aient été contestés par les syndicats des magistrats, qui estiment que le ministre de la Justice les a falsifiés ?

Tout vrai changement appelle à des résistances.

Tout vrai changement appelle à des résistances. Des acteurs qui ont souvent bénéficié de la faiblesse du système judiciaire pour consolider leur positionnement, pouvoir et richesses sont généralement réticents à soutenir des réformes susceptibles de les exposer à des poursuites. Ainsi, les réformes judiciaires doivent trouver un équilibre délicat entre la répression des crimes graves et la gestion des résistances internes provenant des élites. Les réformes judiciaires sont aujourd’hui perçues comme une menace par certains acteurs au sein du système, notamment ceux qui ont toujours tiré profit de pratiques corruptives ou des failles du système judiciaire. Les fonctionnaires judiciaires corrompus, les magistrats mal intentionnés craignent de perdre leurs avantages. Pour beaucoup, les pratiques de corruption et de favoritisme sont devenues des sources de revenus et de pouvoir personnels.

Quelles sont les « vraies » résolutions de ces assises, étant donné que celles rendues publiques ont été remises en cause ?

Les conclusions des états généraux de la justice n’ont jamais été remises en cause. La majorité des participants a opté pour la recomposition du Conseil supérieur de la magistrature et son remplacement par le Conseil supérieur de la justice, comme c’est le cas en Belgique, en France et ailleurs. La justice n’est pas synonyme de la magistrature. Elle est une fonction régalienne de l’État.

Pourquoi demandez-vous que le ministre de la Justice et le président de la République intègrent ce Conseil supérieur, alors que les magistrats estiment que cela compromettrait l’indépendance de la justice ?

Ce n’est pas une innovation congolaise. C’est le cas dans les autres États modernes que nous prenons comme modèles. Ceci mettra fin à ce corporatisme protecteur des magistrats qui a détruit notre système judiciaire.J’ai été nommé par le chef de l’État pour redresser et réformer notre justice, dans laquelle notre peuple ne se retrouve pas. C’est la tâche à laquelle je m’emploie depuis cinq mois. Les divergences sont normales, car vous avez, d’une part, un ministre réformateur, et d’autre part, un groupe de magistrats conservateurs, qui préfèrent maintenir le statu quo. Ça n’a rien de personnel.A lire : 

Révision constitutionnelle en RDC : l’Église catholique, apôtre de la contestation ?

Qu’entendez-vous par « thérapie de choc » pour guérir une justice « malade » ?

Des solutions qui pourraient faire très mal, mais qui paraissent indispensables pour la guérison de notre justice. Il faut purger notre justice de toutes les brebis galeuses, réformer la Constitution – notamment l’article 152 et les suivants –, ainsi que les lois essentielles sur le Conseil supérieur de la magistrature, le statut des magistrats, les juridictions de l’ordre judiciaire, le code judiciaire militaire, le parquet financier, l’inspection générale des services judiciaires, le barreau, les greffiers, les huissiers…

Pourquoi dites-vous qu’un système judiciaire incapable de tenir les puissants pour responsables mine la cohésion sociale et la confiance des citoyens envers les institutions ?

Les puissants censés être en prison sont libres [et] pendant ce temps, nos prisons sont remplies de délinquants des rues.

Les influences internes – notamment la hiérarchie de la magistrature – et externes – venues du pouvoir politique – n’aident pas les juges et magistrats à dire le droit en toute indépendance. D’où le fait que les puissants criminels économiques et financiers censés être en prison soient libres. Pendant ce temps, nos prisons sont remplies de délinquants des rues. Cela mine la confiance des citoyens envers les institutions, voire la justice. Nous devons restaurer cette confiance pour consolider l’État de droit. Le chef de l’État a instruit. Il nous revient d’exécuter.

Comment garantir l’indépendance de la justice par rapport au pouvoir politique ?

Nous devons lutter contre l’impunité à tous égards, et créer un mécanisme de surveillance et de contrôle mutuel, en évitant de laisser la justice entre les mains d’une seule corporation, la magistrature. Il faut donc recomposer le Conseil supérieur de la magistrature. Les insuffisances actuelles sont dues à l’organisation de notre système judiciaire. Il y a une concentration des pouvoirs entre les mains d’un groupe d’acteurs de la justice qui ne répondent de personne, si ce n’est d’eux mêmes. Ces mêmes acteurs censurent les textes législatifs et réglementaires, ils proclament élus le président de la République, les députés nationaux et provinciaux, les sénateurs, les gouverneurs. Ils sont juges du chef de l’État et du Premier ministre, peuvent interpeller les députés et les membres du gouvernement… Mais ils ne peuvent pas être contrôlés, au nom de l’indépendance. Ceci est à la base de beaucoup d’abus. D’où la nécessité de réformer.

Qu’en est-il de l’enquête sur la tentative d’évasion à la prison de Makala, à Kinshasa, qui a fait plusieurs morts ?

Le rapport de la commission d’enquête est prêt. Il sera d’abord soumis au chef de l’État et au Premier ministre, avant d’être rendu public la semaine prochaine.

Qu’en est-il des conditions de détention et des nombreuses personnes qui restent des années sans jugement ?

Depuis mon arrivée à la tête du ministère de la Justice, je travaille, sur instructions du président de la République, à l’amélioration des conditions de détention. Nous désengorgeons les prisons et cachots à travers le pays, et y distribuons des matelas de qualité pour le bien des prisonniers. Des projets de construction de nouvelles prisons et maisons d’arrêt sont en cours d’exécution.A lire : 

RDC : Makala, contre-enquête sur une mutinerie qui a fini en bain de sang

Sur la Constitution, quels sont les axes de changement à envisager ?

Il appartient au peuple souverain de déterminer les axes de la réforme constitutionnelle envisagée. Lors des états généraux de la justice, la majorité des participants a, par exemple, opté pour l’irrecevabilité de la nationalité congolaise d’origine, la suppression du Conseil supérieur de la magistrature et son remplacement par le Conseil supérieur de la justice.

Faut il revenir à une présidentielle à deux tours ? Autoriser la double nationalité ?

Il reviendra au peuple souverain de décider en toute responsabilité, soit directement, soit à travers ses représentants.

Si une nouvelle Constitution est adoptée, cela veut-il dire que les compteurs des mandats sont remis à zéro ?

La réforme constitutionnelle envisagée vise à adapter notre loi fondamentale aux impératifs socio-politico-économiques et juridiques de l’heure. Elle aura pour finalité de régler les problèmes réels de dysfonctionnement institutionnel qui plombe notre République. Il ne s’agit pas de remettre un compteur à zéro, un ou deux.

Dans la saisine par la RDC de la Cour pénale internationale en 2023, citez-vous des officiers des Forces armées rwandaises (RDF) en fonction ?

Tous les auteurs des crimes internationaux commis à l’est de la RDC ont été cités, y compris les officiers RDF.

Nul n’ignore l’agression dont la RDC est victime de la part du Rwanda.

Comment expliquez-vous vos propos tenus à la prison de Munzenze, à Goma, exigeant des détenus qu’ils dénoncent les « infiltrés » en échange d’une récompense, et promettant par la même occasion une prime en échange de l’arrestation du président rwandais, Paul Kagame ?

Nul n’ignore l’agression et l’occupation illégales dont la RDC est aujourd’hui victime de la part du Rwanda, qui occasionnent des millions de morts, des déplacés internes, des pillages sauvages de nos ressources naturelles. Mon rôle, en tant que ministre de la Justice, est de veiller à ce que les auteurs de ces crimes graves internationaux et de droit commun, commis sur le territoire congolais, soient poursuivis et arrêtés par les instances judiciaires compétentes. Ces crimes sont imprescriptibles. La RDC a, par l’entremise de mon ministère, déposé plusieurs plaintes dont les actions sont en cours devant les juridictions nationales et internationales.

Mettre une prime sur la tête d’un président étranger, n’est-ce pas dangereux ?

Que représentent mes propos face aux millions de morts congolais, aux pillages de nos ressources naturelles, aux souffrances injustes que le régime de Kigali inflige au peuple congolais ? Que dire des propos menaçants de Paul Kagame contre notre président, Félix Tshisekedi ? Tout patriote sérieux épris de son pays agirait ainsi. La question de la souveraineté ne se marchande pas.

Peu de ministres, pour ne pas dire aucun, tiennent les propos que vous tenez. N’outrepassez-vous pas vos fonctions ?

Je porte les engagements du chef de l’État, qui m’a nommé pour l’aider et servir notre peuple. Il ne m’a pas nommé pour jouer le jeu de l’ennemi ou intégrer les réseaux mafieux qui déstructurent notre justice et notre pays. J’exécute les instructions avec fermeté.

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