Ramasser ou conquérir le pouvoir : c’est le défi qui attend Félix Tshisekedi – JB Kongolo

Ramasser ou conquérir le pouvoir : c’est le défi qui attend Félix Tshisekedi
Par Jean-Bosco Kongolo
Le souhait de la plupart des parents est de voir au moins un de leurs rejetons poursuivre leurs œuvres en embrassant leurs métiers ou carrières. De là haut où il se trouve, Etienne Tshisekedi se réjouit certainement de la désignation de son fils Félix pour présider aux destinées de l’UDPS, parti politique qui a incarné jusqu’à son dernier soupir, son combat pour l’avènement de la démocratie et de l’État de droit. En lui confiant cette lourde responsabilité, la base et les structures de ce parti sont conscientes du fait que de toutes les formations politiques du Congo-Kinshasa, l’UDPS est le parti sociologiquement le mieux implanté à travers tout le pays. Il s’en suit logiquement et dans le contexte politique du moment, que son président est la cible de toutes les convoitises, aussi bien du Club de Kingakati que des autres partis dits de l’opposition.
Si l’on en croit les rumeurs qui circulent, les stratèges de Kingakati ne verraient plus aucun inconvénient à ce que soit mis en œuvre l’accord de la CENCO qu’ils avaient pourtant saboté. Ce qui aboutirait à voir Félix Tshisekedi prendre la primature, qui lui avait été refusée au profit de Bruno Tshibala. Habitués à se positionner pour ramasser plutôt que conquérir le pouvoir, plusieurs autres leaders de l’opposition sont dans l’expectative pour voir de quel côté va pencher Félix Tshisekedi. Il est ici question de ne pas rater sa place autour de la mangeoire, où il n’est d’ailleurs jamais exigé aux invités d’être d’une bonne moralité ou de faire preuve d’un certain niveau de compétence. Dans tout cela, on a souvent tendance à négliger le principal acteur, le peuple, héritier du combat de son leader Etienne Tshisekedi et qui fait de l’UDPS plus un mouvement et un patrimoine national commun qu’un parti uniquement ouvert à ses dirigeants et à ses membres. C’est ce qui explique d’ailleurs que ce parti ait résisté et survécu jusqu’ici aux soubresauts qui n’ont cessé de le secouer. Ayant répondu nombreux au meeting de ce 24 avril 2018, suivi de près même à travers la diaspora, c’est tout un message que le peuple congolais adresse à Félix Tshisekedi pour le mettre en garde contre des choix qui rendraient nul tout le combat de son père et des martyres de la démocratie, en même temps qu’ils décevraient les espoirs de toute la nation. Mais Félix Tshisekedi est-il suffisamment mûr politiquement et est-il bien entouré pour affronter les défis immédiats et à venir qui l’attendent? C’est ce que nous allons examiner dans cette analyse, en envisageant quelques scénarii.
1. L’UDPS : un patrimoine national commun
Du fait d’être née au pays et en pleine dictature, alors que certains leaders des partis politiques de l’époque de l’indépendance vivaient en exil[1], l’UDPS s’est forgé au fil des années une réputation et une base qui lui valent aujourd’hui le qualificatif de « fille aînée de l’opposition. » Même sans en être membres effectifs, plusieurs millions de Congolais en sont au moins, dans leurs cœurs, membres sympathisants. Contrairement aux autres partis nés à la faveur du multipartisme proclamé le 24 avril 1990, l’UDPS est le seul parti politique congolais qui a été la cible de plusieurs cabales tendant à le faire disparaître mais qui s’en est toujours sorti grâce à la constance de son discours et de son combat. Parmi ses dirigeants, Etienne Tshisekedi est celui qui, malgré ses erreurs, a résisté à la tentation de se voir offrir le pouvoir sur un plateau. Refusant de trahir ses convictions, les idéaux de son parti et le peuple qui lui faisait toujours confiance, Etienne Tshisekedi a tiré sa révérence tête haute laissant derrière lui un peuple politiquement mûr pour se prendre en charge. Même mort, le Sphinx de Limete continue de faire peur au pouvoir, au point que ses funérailles font l’objet de marchandages politiques ayant abouti, plus d’une année après son décès, à l’accord tripartite entre sa famille biologique, sa famille politique et le pouvoir de fait, portant sur l’organisation de ses funérailles. Du coup, le peuple et les observateurs s’interrogent, à tort ou raison, si réellement cet accord procède de la volonté de décrisper le climat politique. Car, si tel était le cas, pourquoi ne pas libérer en même temps les prisonniers politiques et laisser toutes les autres formations politiques libres d’exercer leur droit de manifester?
2. Les funérailles d’É.Tshisekedi ne doivent être ni un cadeau ni un appât
En Afrique, comme partout ailleurs, il est de coutume de rendre un dernier hommage à quelqu’un qui nous a quittés définitivement, même si sa mort est intervenue loin de sa terre natale. Il en a été ainsi des célébrités de la musique congolaise, Tabu Ley, Emeneya et Papa Wemba, qui non seulement ont eu droit à des funérailles nationales promptes et grandioses mais ont même été admis dans l’ordre des héros nationaux. L’encre et la salive ont abondamment coulé à propos des funérailles d’Etienne Tshisekedi dont le corps est inexplicablement contraint à un exil posthume qui ne dit pas son nom. Ne faisant pas allusion à la famille biologique dont Félix Tshisekedi n’est qu’un membre[2], beaucoup de médias proches du pouvoir l’ont accusé plus à tort qu’à raison de vouloir politiser les funérailles de son père.
Le meeting de ce 24 avril à l’historique Place Sainte-Thérèse de Kinshasa, dans la commune populaire de N’djili, a été le lieu choisi par le « fils de son père », Fatshi, comme les combattants l’appellent, pour couper court avec les rumeurs les plus persistantes faisant état des accords secrets qu’il aurait signés avec Joseph Kabila pour accepter de prendre la primature en remplacement de Bruno Tshibala. Dévoilant tout haut ce que tout le monde soupçonnait tout bas, Fatshi a déclaré : « Comme vous le savez, les négociations avec le pouvoir pour le rapatriement du corps de notre leader avaient commencé depuis l’année dernière, mais ce qui était étonnant est que le pouvoir disait que je sois nommé Premier Ministre avant le rapatriement du corps d’Etienne Tshisekedi. Contrairement à ce qui se raconte dans les réseaux sociaux, sachez que je n’ai jamais négocié un poste avec le pouvoir pour le rapatriement de notre leader. »[3] Pour comprendre cette cabale montée contre l’UDPS et la démocratie, il faut remonter loin dans le contexte de l’accord de la Saint-Sylvestre, superbement saboté par la MP mais qui revient à la surface grâce aux pressions, tant externes qu’internes, exercées sur Joseph Kabila pour que les élections se tiennent effectivement le 23 décembre 2018, conformément au calendrier de la CENI.
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Sur le plan externe, il faut être aveugle pour ne pas reconnaître que les changements intervenus au Zimbabwe, en Angola et en Afrique du Sud privent Joseph Kabila de ses principaux soutiens sur lesquels il comptait au niveau de la SADC. A cela s’ajoutent les déclarations tranchantes de l’ancien Président du Botswana, reprises par son successeur, lesquels rappellent à l’homme de Kingakati son devoir de respecter la Constitution et de laisser le peuple congolais se choisir librement un autre chef. C’est le même son de cloche du côté des partenaires occidentaux, qui s’en tiennent au calendrier électoral publié par la CENI et qui sont prêts à intensifier la procédure de sanctions contre les collaborateurs de Kabila. En effet, faisant de la question électorale la deuxième priorité du nouveau mandat de la MONUSCO, la résolution 2409 du 27 mars 2018 charge la MONUSCO de « fournir un appui technique et politique » à la pleine mise en œuvre de l’Accord et au processus électoral, y compris en offrant ses bons offices et en dialoguant avec les interlocuteurs de tous bords politiques. La résolution demande notamment « au Président Kabila, à la majorité présidentielle et à l’opposition » de mettre en œuvre sans délai l’Accord « en toute bonne foi et dans son intégralité », en particulier en appliquant pleinement les mesures de confiance qu’il prévoit[4].
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Sur le plan interne, le peuple congolais a démontré sa détermination à se prendre en charge, avec ou sans l’appui de la communauté internationale, pour réclamer les élections libres et transparentes. Répondant massivement à l’appel du Comité Laïc de coordination(CLC), les chrétiens catholiques en tête, suivis par différentes couches de la population, ont bravé la peur en se déversant à deux reprises et par centaines de milliers dans les rues de la capitale ainsi que des grandes villes du pays pour revendiquer la même chose. De ces manifestations pacifiques, réprimées disproportionnellement dans le sang, Joseph Kabila est sorti complètement affaibli politiquement et diplomatiquement faisant apparaître les limites des stratégies suicidaires des faucons de son entourage et des services de renseignements.
Comme son prédécesseur Samy Badibanga, Bruno Tshibala n’a pas été capable d’accomplir la mission d’anéantir l’UDPS et de diviser l’opposition pour laisser Kabila poursuivre tranquillement son programme de glissement vers la modification de la Constitution. C’est ce qui explique les tractations débutées depuis janvier, qui viennent d’aboutir à la signature de l’accord sur les funérailles d’Etienne Tshisekedi. Par cet accord et par l’autorisation accordée immédiatement après à l’UDPS de tenir son meeting, il n’existe plus de doute sur les intentions non avouées de cibler ce parti et son nouveau président. Comme l’a dénoncé Félix Tshisekedi, le rapatriement de la dépouille mortelle de ce patrimoine national ne peut être ni un cadeau fait à qui que ce soit ni un appât tendu en vue d’un quelconque deal politique. Face à cette forte tentation de ramasser le pouvoir (la primature), avec tous les avantages et risques qui accompagnent une telle trahison, le nouveau président de l’UDPS est interpelé par sa conscience, par la mémoire de son père, par le peuple qui vient de lui témoigner toute sa confiance et par ses pairs de l’opposition, parmi lesquels il doit faire un tri pour distinguer les vrais alliés des opportunistes professionnels. Certains n’ont jamais de position claire. On n’est jamais sûr de ce qu’ils veulent ni de quel côté il faut les situer et c’est souvent en dernière minute qu’ils gâchent tout.[5]
3. Félix Tshisekedi tiendra-t-il parole?
Sans être membre de l’UDPS ni de l’entourage proche ou éloigné de Félix Tshisekedi, nous supposons qu’il est en ce moment envahi par des messages et tiraillé par des propositions, les uns contraires aux autres, que l’on peut regrouper en deux catégories.
Dans la première catégorie, l’on retrouve ceux qui lui conseillent de ne pas vieillir inutilement dans l’opposition comme son père et de saisir sa chance, comme Nguz et Birindwa à l’époque ou comme récemment Samy Badibanga et Bruno Tshibala, pour accepter de prendre la primature. Dans cette catégorie, il y a lieu de compter avant la MP, pour les raisons évidentes évoquées ci-haut, mais aussi certains leaders opportunistes de l’opposition, peu sûrs d’eux-mêmes pour affronter l’électorat. Sans base réelle, les uns et les autres ne vont pas tarder à se manifester en déstructurant et en restructurant leurs plates-formes en vue de mieux se positionner plus numériquement que sociologiquement. Il convient également d’intégrer dans cette catégorie, des membres et cadres de l’UDPS, du pays comme de la diaspora, partisans des raccourcis, qui croient le moment venu pour eux de se servir plutôt que de servir. Selon des informations crédibles en notre possession, Félix Tshisekedi devrait se méfier de certains animateurs des fédérations extérieures, qui ne font pratiquement rien pour le parti mais qui ne compteraient que sur leurs affinités « cotériques » pour être désignés candidats aux législatives. Là où le bas blesse, il y en a même qui affirment déjà vouloir se rebeller contre le parti s’il arrivait que la Direction du parti les empêche de jouir des avantages du pouvoir comme l’ont fait tous les autres traîtres en 2011.
Dans la deuxième catégorie, se trouvent ceux qui combattent pour un idéal, comme membres et cadres de l’UDPS ou simplement comme sympathisants. Tous attendent de Félix Tshisekedi qu’il ne crache surtout pas sur la mémoire de son père, qu’il lui emboite le pas en demeurant constant dans son combat, en évitant de trahir et de se faire débaucher comme la plupart des politiciens congolais et surtout en capitalisant la confiance que vient de lui témoigner le peuple, qui a répondu massivement à son premier meeting en tant que chef du parti. C’est pour cela que pour son avenir politique, pour son parti et pour la nation, il doit être en mesure de peser les risques d’un pouvoir qui lui serait offert par quelqu’un qui n’en a plus lui-même. Un adage latin peut lui servir de conseil : « Nemo plus juris ad alium tranferre potest quam ipse habet. » (Une personne ne peut transférer à autrui plus de droits qu’elle n’en a elle-même.)
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En acceptant un pouvoir offert par Joseph Kabila, hors mandat, Félix Tshisekedi compromettrait irréversiblement son avenir politique au moment où les rapports de force le positionnent bien comme un des rares leaders congolais qui donnent des insomnies à la kabilie.
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Pour son parti, longtemps déchiré en factions sous les régimes de Mobutu et des Kabila et dont le congrès organisé récemment donne l’espoir de le repositionner comme l’unique grand parti, accepter la primature offerte plutôt que conquise, faciliterait à Kabila d’atteindre son plus grand objectif de mettre l’UDPS dans sa poche et, par conséquent de faire disparaître l’opposition.
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Pour la nation, accepter la primature négociée plutôt que conquise ferait reculer de plusieurs années tout le combat pour la démocratie, qui a fait des milliers de martyrs et relégué le pays à la queue du classement sur le plan du développement économique et social.
Conclusion
La plupart des politiciens congolais, spécialistes du vagabondage et de l’opportunisme, aimeraient se retrouver en ce moment dans la position de Félix Tshisekedi. Fils de son père et tout nouveau président élu de l’UDPS, la vraie, il est actuellement l’homme sur qui tous les projecteurs sont braqués. Seul face à sa conscience, il a une lourde décision à prendre et à maintenir, soit en acceptant de servir de béquilles à Joseph Kabila, affaibli politiquement et diplomatiquement, hors mandat et illégitime, soit en poursuivant le combat de son père et de millions de Congolais pour la conquête et l’exercice démocratiques du pouvoir. Sera-t-il à l’écoute de ses intérêts ou prendra-t-il conscience de son poids politique actuel et de celui de son parti pour une vraie alliance avec d’autres formations ou regroupements politiques dans la perspective des élections, à imposer à tout prix? L’histoire du Congo est pleine d’exemples qui montrent que le pouvoir conquis est plus solide que celui offert. Nguz a Karl Ibond, Mungul Diaka, Birindwa, Samy Badibanga et Bruno Tshibala en savent quelque chose. Félix Tshisekedi est averti, gratuitement par DESC.
Jean-Bosco Kongolo, Juriste et Criminologue
Administrateur adjoint de DESC
Références
[1] Cas d’Antoine Gizenga
[2] C’est d’ailleurs son oncle, Mgr Gérard Mulumba, qui représente la famille biologique.
[3] 7sur7.cd, 24 avril 2018, In
[4] https://www.un.org/press/fr/2018/cs13265.doc.htm.
[5] N’importe qui est en mesure de les identifier.