Manœuvres russo-chinoises: «Montrer à la face du monde que la Russie n’est pas isolée»
Publié le : 20/12/2022 – 22:27


Texte par :Christophe PagetSuivre
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La Russie doit commencer ce mercredi, et pour huit jours, des manœuvres militaires avec la marine chinoise. Le lieu : la mer de Chine orientale, à l’est de Shanghai, dans un espace très stratégique : au sud Taïwan, à l’est le Japon et au nord la Corée du Sud. Officiellement, les deux pays veulent renforcer leur coordination navale, renforcer aussi la sécurité dans la zone. Ulrich Bounat, analyste géopolitique spécialiste du monde russe, répond aux questions de RFI.
RFI : Pour la Russie et la Chine, quel sont les objectifs de ces manœuvres conjointes ?
Ulrich Bounat : Je pense queles objectifs sont assez clairs : il s’agit d’améliorer la coordination entre les flottes, d’un point de vue purement militaire. Et aussi d’un point de vue russe, montrer à la face du monde que la Russie, malgré l’ensemble des sanctions prises suite à son invasion en Ukraine, n’est pas isolée et qu’elle possède un allié de poids : la Chine.
Je noterai quand même que la Chine, de son côté, ça « l’arrange bien » de montrer qu’elle possède un allié du poids militaire de la Russie dans cette zone du globe où l’on sait qu’il y a des tensions extrêmement fortes avec les États-Unis, aux environ de Taïwan. Néanmoins, gardons en tête que si la Russie fait démonstration de ces déploiements de force à l’est de la Chine, la Chine de son côté est beaucoup plus prudent : elle cantonne toujours ses démonstrations de force à l’est, dans sa zone de prédilection, et n’est certainement pas pressée de montrer un tel entrain en étant plus proche des frontières occidentales de la Russie.
La Chine et la Russie multiplient les manœuvres communes ces derniers mois. Mais ce rapprochement date d’avant le début de la guerre en Ukraine en février…
Effectivement, il a commencé il y a plusieurs années. Il y a un objectif très clair de remettre en cause l’ordre du monde tel qu’il a été défini depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et remettre en cause la prééminence des États-Unis et du monde occidental. Cet objectif de fond porté par les deux pays. Néanmoins, je pense que l’échec de la Russie en Ukraine, auquel Pékin ne souhaite pas être associée, provoque en Chine une certaine réflexion vis-à-vis aussi de ce message que Pékin comme Moscou portent depuis des années : que l’Occident est sur le point de voir sa force progressivement s’amenuiser, au bénéfice d’un monde dit multipolaire, avec bien évidemment la Chine comme premier concurrent. La chute du potentiel militaire russe en Ukraine met cette vision en pause…
C’est aussi la raison pour laquelle, alors qu’on avait vu dernièrement une remise en cause assez forte du statu quo autour de Taïwan autour des Chinois, cette position s’est beaucoup diluée. On en entend quasiment plus parler. Et ce d’autant plus, bien évidemment, que la Chine a elle-même ses propres problèmes internes, avec la gestion de la sortie du Covid-19.
Comment l’Occident voit-il ces manœuvres ?
Je pense qu’elles confirment, si besoin était, qu’effectivement, d’un point de vue militaire, il y a un partenariat de plus en plus fort – je ne dirai pas une alliance, car encore une fois la Chine n’aide pas la Russie en Ukraine, mais il y a effectivement un partenariat qui se renforce. C’est aussi la raison pour laquelle, du point de vue de l’Otan, la Chine est maintenant considérée un petit peu comme un adversaire.
Ces manœuvres militaires et navales ajoutent une pierre de plus à la compréhension des Occidentaux que la Chine et la Russie, sans être complètement alliés, ont décidé de constituer un groupe – avec quelques autres, notamment l’Iran – pour tenter de remettre en cause l’ordre établi. Cela fait prendre conscience aux Occidentaux, si besoin était, que malgré ses difficultés économiques actuelles, la Chine n’a clairement pas renoncé à sa tentative de remettre en cause sur le long terme son rôle dans le monde et le rôle des Occidentaux.