Afrikarabia voit « RDC : l’armée toujours impuissante face au chaos sécuritaire »
« En octobre 2022, le président Félix Tshisekedi nommait Christian Tshiwewe à la tête des Forces armées de République démocratique du Congo (FARDC). Un remaniement majeur dans la reprise en main du secteur de la sécurité par le président congolais. Mais quatre mois plus tard, le bilan du nouveau chef d’état-major est encore bien mince.
Christian Tshiwewe est sans doute le premier patron de l’armée congolais à avoir la totale confiance du chef de l’Etat. A sa nomination, les défis qui attendaient ce général d’origine katangaise de 55 ans étaient nombreux : remettre de la discipline, remobiliser des troupes, apporter de meilleurs moyens en logistique et armement. Mais surtout, il a avait pour mission principale de redorer le blason d’une armée réputée inefficace et reprendre militairement du terrain face au M23, notamment en récupérant la ville stratégique de Bunagana, dans les mains des rebelles depuis 215 jours. Autant dire qu’aujourd’hui, le bilan du nouveau chef d’état-major des armées est plutôt maigre. Bunagana est toujours contrôlée par les rebelles, et les FARDC n’ont pas cessé de reculer, laissant le M23 reprendre de nouvelles positions après le retrait négocié de Kibumba et Rumangabo. Les régions laissées libres par la rébellion sont désormais contrôlées par la force régionale est-africaine (EAC), provoquant l’ire de la société civile et des mouvements citoyens qui dénoncent la création « de zones tampons » échappant complètement à l’armée régulière.
Des groupes armés toujours très actifs
En termes de moyens, l’armée congolaise manque toujours de vivres et d’armements, même si une cargaison d’armes lourdes, don de la Turquie, est récemment arrivée à Goma. Il faudra être patient et attendre la formation des troupes avant de voir ses armes se déployer sur le terrain. Si en Ituri, les rebelles ADF semblent un peu contenus, ce n’est pas le cas de la milice CODECO qui a tué 16 personnes la semaine dernières dans plusieurs villages d’Ituri du territoire de Djugu. Au Nord-Kivu, les ADF continuent leurs attaques meurtrières. Ce dimanche, au moins 10 personnes ont été tuées dans un attentat à la bombe dans une église pentecôtiste de Kasindi, près de Beni. Une attaque que le gouvernement attribue aux ADF. Le groupe rebelle, d’origine ougandaise, mais largement « congolisé » depuis une vingtaine d’année, a récemment fait allégeance à l’Etat islamique (EI). Moins dangereux que le M23 sur ses velléités territoriales, il n’en reste pas moins le groupe armé le plus meurtrier au Congo. Selon le groupe d’experts de l’ONU, les ADF ont tué « au moins 370 civils » depuis avril 2022 dans l’Est du pays.
Un chef d’état-major sous influence
Pour l’instant, il n’y a donc pas eu « d’effet Tshiwewe » sur le chaos sécuritaire qui prévaut au Nord-Kivu et en Ituri. Ces deux provinces, en état de siège depuis mai 2021, n’ont connu aucune amélioration en matière de sécurité. Pire, c’est sous état de siège que le M23 est réapparu après une petite dizaine d’années de « sommeil ». Sans moyens financiers supplémentaires, Christian Tshiwewe a-t-il les coudées franches pour imposer ce nouveau souffle dont l’armée congolaise a tant besoin, notamment en remettant de l’ordre dans la chaîne de commandement et en écartant les officiers corrompus ? Les marges de manoeuvre du nouveau patron des armées sont pourtant très limitées. Le vrai chef d’orchestre se trouve en fait à la Maison militaire, véritable tour de contrôle des FARDC. Son chef, Franck Ntumba, a la haute main sur les nominations et les grandes orientations stratégiques, notamment en ce qui concerne l’état de siège, qu’il pilote avec le ministre de la Défense, Gilbert Kabanda. Franck Ntumba, est en effet chargé de restructurer l’armée pour qu’elle devienne complètement loyale au président Tshisekedi. Les officiers suspectés d’être trop proches de Joseph Kabila, qui avait façonné l’armée à son service, sont régulièrement écartés au fil des nominations et des affectations. Des officiers d’origines katangaises, fief de Kabila, sont régulièrement écartés. C’est le cas récent d’une vingtaine de militaires de la Garde républicaine (GR), tous katangais, qui ont été remis à la disposition des FARDC… et donc écartés de la sécurité du président de la République.
Une réforme de l’armée qui se fait attendre
Le général Philéon Yav, surnommé le « Tigre de Kabila », pourtant nommé l’été 2022 commandant de la 3e zone de Défense, a également fait les frais de cette chasse aux sorcières. Ce général katangais occupait un poste stratégique puisqu’il regroupait les cinq provinces de l’Est en proie aux groupes armés. Mais sa demande de renforts de trois bataillons de la Garde républicaine pour combattre le M23 n’a pas été appréciée à Kinshasa, et particulièrement à la Maison militaire. Franck Ntumba a pensé que Philémon Yav voulait « dégarnir » la sécurité présidentielle pour préparer un putsch et renverser le pouvoir. L’occasion était trop belle pour interpeller le général Yav le 20 septembre 2022, l’accuser « d’intelligence » avec le M23, et le transférer directement en prison… où il attend toujours d’être jugé. Ce dernier épisode de la prise de contrôle de l’armée par Félix Tshisekedi démontre que les luttes d’influence sont encore fortes entre les officiers soupçonnés d’être encore en lien avec Joseph Kabila et les nouveaux promus, que le président espèrent redevables, et donc plus loyaux. Mais le chemin est encore long pour « dekabiliser » l’armée et surtout la rendre plus républicaine, moins corrompue, mieux formée, mieux équipée, mieux payée et plus professionnelle. Le ministre de la Défense a présenté fin décembre la nouvelle politique de défense de la RDC. Le gouvernement veut instaurer un service militaire, renforcer ses troupes, ouvrir une école de cadets, et favoriser l’implantation d’une industrie de la défense. Des mesures qu’il va falloir financer dans un contexte budgétaire serré, alors que les causes profondes de l’inefficacité de l’armée : la réforme du secteur de la sécurité et le programme de démobilisation et de réinsertion des groupes armés… sont toujours au point mort ».